Depuis la parution de son premier livre
L’homme facile en 1968, un roman libertin (interdit aux moins de dix-huit ans) qui a fait sensation par la hardiesse du sujet et la crudité du vocabulaire, Catherine Breillat mène une démarche parallèle d’écrivain, cinéaste et scénariste. De 1968 à 1975, elle publie trois romans et une pièce de théâtre en alexandrins
Les Vêtements de mer (1971). Elle écrit de nombreux scénarii en collaboration avec divers cinéastes, Liliana Cavani (
La Peau), Federico Fellini (
E la nove va), Maurice Pialat (
Police), Chrisstine Pascal (
Zanzibar).Elle réalise son premier film
Une vraie jeune fille en 1976 d’après son roman
Le Soupirail (1974). Une première œuvre tournée avec très peu de moyens, un film à la première personne, d’une grande singularité, affrontant la question de la représentation du sexe à l’image sans détour ni afféterie. Un point de vue personnel sensuel, violent et rageur sur l’effroi d’une adolescente découvrant son corps et l’abîme du sexe. Un film libre, novateur et expérimental proche du cinéma underground américain.En 1979, elle met en scène
Tapage nocturne d’après son roman éponyme. Un film cru, d’une grande beauté lunaire, un film-sexe où se succèdent des scènes scalpels de rapports charnels, une histoire d’amour et de désir à l’état brut, l’histoire de la passion implacable et destructrice d’une jeune femme, Solange, interprétée par Dominique Laffin, à qui Catherine Breillat offre son plus beau rôle. Le film est interdit aux moins de dix-huit ans et connaît un échec commercial qui éloigne la cinéaste des plateaux de tournage.Il lui faudra attendre huit ans, une dépense d’énergie et une volonté sans faille pour qu’elle puisse tourner un nouveau film en 1987,
36 Fillette, non sans avoir dû en faire un roman pour convaincre les membres de la commission d’avances sur recettes effrayés par l’audace du sujet : la quête sexuelle hard d’une adolescente de quatorze ans, sa recherche de l’homme, mue par une unique obsession le dépucelage. Un film éprouvant et somptueux où les deux comédiens principaux Delphine Zentout (Lili, butée et désemparée) et Etienne Chicot (très physique en macho un peu ridicule) sont remarquables.En 1991, elle réalise
Sale comme un ange où elle affronte le film de genre : le polar. Catherine Breillat déjoue à merveille cet univers noir et glauque faisant du film une épreuve de vérité impitoyable, cruelle et lucide sur la question du désir charnel, sur la brutalité du désir même. L’histoire d’une puritaine froide et fade Barbara (Lio formidable) que le désir d’un homme dur et fatigué, le flic Georges Deblache (Claude Brasseur, obstiné et vieilli), transfigure. Le désir, le plaisir et la culpabilité inhérente sublimisent cette femme, la mène à un abandon d’elle-même quasi métaphysique. Extraordinaire moment que la “scène du canapé”, long plan-séquence où la caméra traque sur les visages du couple expressions, gestes, hésitations… Un plan miraculeux qui enregistre le moment de l’abandon physique du corps et de l’âme d’une femme au désir d’un homme, femme qui néanmoins ne cède rien et garde farouchement sa liberté.
1996 voit la sortie de Parfait amour le grand film romantique et moment fatal de cinéma. Une œuvre rigoureuse qui filme le temps. Le temps de l’amour et du désamour. Catherine Breillat filme l’amour et la mort au travail dans un condensé de vie où l’opposition des désirs, la différence de leur nature conduit Frédérique (Isabelle Renauld, sensuelle et dure, dominatrice) et Chris (Francis Renaud, immature, flambeur et frimeur) vers une fin tragique, comme s’il fallait payer de vouloir un amour plus fort que le sexe. Depuis plusieurs années la cinéaste (dont l’admiration pour le film de Nagisa Oshima, L’Empire des sens, est grande) rêvait de tourner un film s’affrontant à la représentation frontale de l’amour physique. C’est chose faite et de main de maître avec Romance, une “œuvre au blanc” où Marie (Caroline Ducey, sublime en ange blanc/noir) s’engage et se livre éperdument corps et âme dans la quête sensuelle et mystique d’un amour physique et romantique. Un film radical, ample, glacé et brûlant qui confirme que Catherine Breillat est une grande cinéaste.
Portrait de Jacques DENIEL
Article paru à l’occasion du Festival du film de Rotterdam de 1999