OBSESSION : ABUS DE FAIBLESSE
Nous séduire, nous la faire, ce que ne tente jamais Catherine Breillat dans Abus de faiblesse. Déjà, question séduction, il faut avoir envie, très envie, pour franchir le cap de ce titre décourageant. Et même, d’une façon plus générale, il faut redoubler de courage pour vouloir se déplacer en salles voir ce que Catherine Breillat arrive à faire, sous une forme très vaguement romancée, d’une histoire qui a défrayé il y a deux ans la chronique : ou comment Christophe Rocancourt, escroc avéré, aurait abusé de la faiblesse de Catherine Breillat, diminuée par un AVC, en devenant (contre promesse d’un rôle pour un film que Breillat n’a au final jamais tourné) son ami le plus proche. Dans les derniers mois de leur amitié, il l’a d’ailleurs incitée à signer des chèques de centaines de milliers d’euros.
L’affaire a fini devant les tribunaux (Rocancourt a été condamné en 2012 par le tribunal correctionnel de Paris à seize mois de prison dont huit ferme et à verser 581 000 euros de dommages et intérêts), mais le constat qu’en fait le film en donne une version nettement plus « entre les lignes » que ne peut l’être un jugement de justice.
Parce qu’elle se sentait affaiblie et seule, parce que sans doute la figure de l’escroc la tentait, parce qu’elle s’est crue plus forte que le diable, parce que la tête lui a tourné, Catherine Breillat a signé des palanquées de chèques dans un état de semi hypnose et de dépendance affective. Mais en aucun cas sous la menace.
Son autoportrait est celui d’une femme sous influence, presque celui d’une femme amoureuse. Cela rend le film nettement plus nuancé, toujours ambigu, flirtant toujours dans un entre-deux, quelque part entre la folie aveugle qu’il décrit avec minutie et son malaise de ne pouvoir empêcher une mécanique déjà lancée à toute vitesse. Or cet entre-deux correspond exactement à la froideur du style Breillat : cette façon de jouer des couleurs uniquement métalliques pour peindre des sentiments abandonnés…
Le film n’en finit donc jamais d’impressionner sans rien lâcher ni de sa distance ni de son amertume. Faiblesse ? Quelle faiblesse ? Cinématographiquement parlant, c’est son meilleur film, le plus ferme, le plus implacable depuis Parfait Amour ! en 1996. Et Catherine Breillat, au contraire de David O. Russell, a eu le génie d’un casting alchimique via l’affrontement entre deux chiens de combat : Isabelle Huppert (plus forte que jamais) et l’ex-NTM Kool Shen (juste génial, s’accaparant comme il l’entend du plan).
Pas une seconde Breillat ne lâche l’affaire, pas une seconde elle ne s’apitoie sur son sort. Elle hisse sa propre diminution au rang du pathétique et les plans de Rocancourt au rang du machiavélique. Elle vise le clinique, l’anatomique et l’atteint en plein. Abus de faiblesse mais aveux de force.