Note d’intention de Jacky Cukier concernant CHAMBRE A PART
“Je ne détiens pas de vérité. J’essaie de suivre mon instinct. La narration et les acteurs sont les éléments qui m’intéressent le plus au cinéma. La forme vient après. Pendant l’écriture du scénario, avec mon ami Serge Frydman, nous évoquions longuement notre admiration pour Fitzgerald, ses descriptions de couples maudits, ses personnages perturbateurs. Nous partageons avec le même plaisir la dérision et l’humour de Isaac Bashevis Singer, Saul Bellow ou Philip Roth, et le même émerveillement pour la grande époque du “Réalisme Poétique”, celle de Jeanson, de Prévert. Personnellement, je dévore les biographies, les histoires où l’on trouve ce sentiment du “vécu”. Il y a un peu de toutes ces influences dans Chambre à Part, et à la fois j’ai voulu m’en écarter pour m’approcher au plus près de ce qui me ressemble. Je me retrouve dans chacun de mes personnages masculins et féminins du film. Je comprends leurs réactions parce que je les ai peut-être vécues ou imaginées. J’ai toujours travaillé en pensant au cinquième personnage du film : le public. J’aimerais jouer avec les spectateurs.
Chambre à Part ne se réduit pas à une histoire de ménage à quatre. Chaque personnage engendre une foule d’émotions. J’ai une tendresse particulière pour les personnages féminins. Martin et Francis ont aussi une sensibilité féminine. Le public a une quadruple identification avec les personnages.
Pendant plus d’un an d’écriture, nous étions animés avec Serge Frydman d’un amour profond pour nos “héros”, les “bons” comme les “méchants”. Je pense que c’est un film sur la mauvaise foi. Comme vous et moi, Martin, Gert, Francis ou Marie disent parfois l’opposé de ce qu’ils pensent ou sont entraînés dans des actes contraires à leur volonté”.
“Je n’ai pas pensé Chambre à Part en terme de genre : comédie ou tragédie. J’ai cherché avec la comédie à faire rire le public pour mieux l’embarquer vers d’autres sentiments, d’autres émotions. L’humour fait accepter la gravité des situations. Le quotidien, les scènes de cuisine, ne m’intéressent pas au cinéma, et à la fois, je suis très sensible aux histoires personnelles et au quotidien des gens, sensible à la banalité, en essayant de ne pas tomber dans la caricature ou la farce… J’ai hâte de voir comment va réagir le public pris à partie.”
Martin
“Je ne raconte pas son passé, on le découvre à travers ses commentaires off. Il ne comprend pas ce qui lui arrive et il nous fait partager son désarroi. Dans la vie, certaines situations banales vous font parfois aller très loin. Jusqu’à par exemple, se marier avec quelqu’un, sans vraiment savoir qui on a en face de soi.”
Gert
“Le personnage de Gert est basé sur la dérision. Je suis touchée par les gens qui veulent bien faire et qui font mal. Des gens légèrement ridicules qui vous font rire alors que leur histoire est grave. Je ne voulais pas expliquer les réactions de Gert. Elle est anglaise, donc étrangère, le public a peu de références. Il la découvre et l’accepte telle qu’elle est, sans fonctionner sur son passif. Lorsque Gert pique sa crise de nerfs dans la piscine, elle nous bouleverse par ses émotions, parce qu’elle se met à nu.”
Francis
“C’est vraiment le type que l’on voudrait connaître une fois dans sa vie. Ce genre de personnages un peu mythiques qui nous font rêver avec leur vie incroyable. Francis est très humain, capable à la fois d’une grande méchanceté et d’une immense tendresse.”
Marie
“Marie, comme les héroïnes des romans de Fitzgerald, est une femme à la fois d’une rare intelligence et d’une folie absolue. On ne peut pas la juger. On l’aime pour ce qu’elle est, pour sa “nature”, profondément honnête, même dans ses réflexions les plus féroces. Marie est physiquement attirée par Francis, c’est ce qui la retient. L’important était d’éviter tous sentiments d’antipathie face à ces quatre personnages. Je ne souhaite pas avoir de point de vue moral sur les personnages. Je les aime tous pour ce qu’ils sont.”
“Le choix de Michel Blanc s’est imposé d’office. J’avais envie de le montrer tendre et perdu. Et puis j’aime tellement la musique de sa voix. C’est un des plus grands acteurs de sa génération. Même si Martin/Blanc fait rire, je souhaitais que le spectateur l’aime et le trouve beau.
Frances Barber, c’est le personnage surprise du film. Elle m’a étonné dans le rôle de Gert. C’est le seul personnage pour lequel j’ai dû faire un casting, des essais, mais aucune actrice ne me convenait vraiment. Elles jouaient toutes avec trop de sérieux. J’avais besoin d’humour. Par hasard, j’ai vu “Sammy et Rosie s’envoient en l’air” de Stephen Frears et j’ai découvert Frances. Instinctivement, j’ai senti qu’elle était Gert.
Frances Barber, membre de la Royal Shakespeare Company, est une tragédienne, mais pour moi c’est une comédienne d’un tempérament comique extraordinaire. Il suffit de peu pour passer de la tragédie au rire, mais il fallait surtout éviter la caricature de l’Anglaise type.
Dutronc, c’est une personnalité. Un acteur qui se fait plutôt rare, c’est bien. Trop souvent, les acteurs sont prisonniers du personnage qu’ils viennent d’interpréter dans le film précédent. La voix, le rythme de Dutronc viennent du coeur.
Quant au personnage de Lio (Marie), il devait pouvoir aller aussi bien avec Dutronc/Francis que Blanc/Martin. Je voulais une jeune femme qui soit plus une “nature” qu’une actrice. Il m’a suffi de rencontrer Lio cinq minutes pour savoir que je tenais Marie. J’ai essayé de lui donner le maximum de liberté pour qu’elle explose. Elle va surprendre ! Elle est merveilleuse.”
“J’ai eu beaucoup de chance. Michel Blanc a adoré le scénario, ça m’a beaucoup aidé. Il m’a permis de rencontrer des producteurs. J’ai pu choisir, c’est rare ! Ils m’ont soutenu dans mon désir de faire ce film comme je le voulais, pour me permettre de bien faire les choses, d’avoir le temps. Je travaille par instinct avec les acteurs.
Le matin, comme au théâtre, nous répétions. Il fallait du temps ! Jean-François Lepetit et Jean Marie Duprez ont voulu lancer le tournage très vite. C’est important. Je n’ai pas perdu mon énergie à attendre. Ils connaissaient mon passé d’assistant, mais je n’arrêtais pas de leur dire que je n’avais rien appris. Je n’avais réalisé aucun film, aucun court-métrage.
J’ai été très dur en préparation et sur le tournage, pour respecter les délais et ne pas dépasser le budget. J’avais la chance de faire le film que je voulais, c’était ma façon de rendre la pareille à mes producteurs qui avaient pris ce risque.”
“Je voulais que Chambre à Part soit un film français, pas une coproduction qui se veuille européenne. Pour être international, un film doit être régional. Trop chercher à toucher le monde entier rend les films moins forts. Pagnol est compris partout. Je voulais fuir les décors quotidiens, les cafés, les rues que je connais trop. Je voulais du spectacle. En situant mes personnages à Londres, les seconds rôles, les décors seraient différents. Visuellement, c’est plus rare. Mes personnages se trouvaient légèrement déséquilibrés dans un pays étranger, donc plus sensibles…”
“J’adore les “fins” ouvertes, quand les histoires ne se terminent pas vraiment et qu’elles nous laissent l’envie de parler, de rêver ou de réfléchir…
Ce sont les personnages qui ont guidé la fin de ce film.”
Propos recueillis par GAILLAC-MORGUE