les petites mains des grands crus
Saint-Emilion, Pauillac, Sauternes… Autant de villages du Bordelais mondialement célèbres pour leurs grands crus. Mais, derrière les grilles des châteaux, devenus de véritables entreprises du luxe, la réalité est moins reluisante. De la pointe nord du Médoc jusqu’à Agen, la carte de ces prestigieux vignobles correspond à ce que l’on appelle le « couloir de la pauvreté », 240 kilomètres de long et 40 kilomètres de large où 60 000 personnes, pour la plupart des travailleurs de la vigne, vivent en situation de précarité. Un paradoxe sur lequel la journaliste Ixchel Delaporte décide d’enquêter. Son ouvrage, « Les raisins de la misère », est publié en 2018 aux éditions du Rouergue. Dans ce documentaire adapté de son travail – coréalisé avec Olivier Toscer -, elle revient sur le contraste entre ces deux univers qui cohabitent sans jamais se rencontrer. D’un côté, des propriétés appartenant aux dix plus grandes fortunes de France – parmi lesquelles Bernard Arnault (LVMH), Alain et Gérard Wertheimer (Chanel), Gérard Mulliez (Auchan), Dassault, François Pinault (Kering) – dans un secteur qui génère chaque année plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’exportation. De l’autre, des travailleurs saisonniers, intérimaires embauchés par des prestataires de service, anciens ouvriers viticoles aux pensions dérisoires… Le film offre une tribune à ces invisibles, parfois venus de l’étranger, qui triment dans des conditions de plus en plus précaires. Loin de bénéficier d’un quelconque « ruissellement », certains survivent dans des camps de fortune, d’autres vont jusqu’à s’installer dans une déchetterie, comme à Pauillac. En contrepoint, la parole est donnée à ceux qui défendent ces maisons prestigieuses. David Bolzan, directeur du Château Lafaurie-Peyraguet, voit ainsi d’un bon œil l’arrivée de nouveaux actionnaires qui « amène des possibilités de développement ». Particulièrement bien équilibré, le documentaire met aussi en lumière tous ceux qui tentent de faire bouger les lignes pour que le petit peuple de la vigne, indispensable à la fabrication du bon vin, ne soit plus le laissé-pour-compte de ces fleurons du luxe français.
Hélène Riffaudeau