Les Artistes et le Parti (1945-1968)
Ce documentaire aurait pu s’intituler “Les Illusions perdues”, tant l’espoir porté par le Parti communiste à la Libération agrégea de nombreux artistes autour d’un avenir radieux. Sans qu’ils fussent forcément ancartés (Prévert). On distingue alors les compagnons de route (Gérard Philippe, Jena Vilar) des militants au stalinisme indéfectible (Louis Aragon); ceux dont la stature et le niveau de cotisation assurent liberté de parole (Picasso, hilare devant une exposition de réalisme socialiste) et le traîtres (Jean-Paul Sarte, la “hyène dactylographe”); les opportunistes, qui misent sur la puissance de la presse communiste pour faire avancer leur carrière (un pas en avant, deux pas en arrière, avant qu’Yves Montand, finalement, honore une tournée en URSS après le massacre de Budapest, en 1956). L’écrasement hongrois marque une rupture entre ceux qui “font mine de ne pas savoir” (dixit le réalisateur Marcel Trillat) et ceux qui se sentent humiliés, trompés, malheureux. “Et ça, c’est grave, car il y avait beaucoup de don de soi” (Juliette Gréco).
Ce panorama, finement commenté par l’historien Pascal Ory et des militants toujours émouvants dans leur sincérité, paraît presque trop court quand Raoul Sangla évoque l’ORTF, qui laisse les réalisateurs militants assumer comme une mission d’éducation populaire pourvu qu’on ne touche pas aux infos, solidement vérouillées. Les événements de Prague provoquent une hémorragie irrémédiable, et Mai 68 proclame “l’imagination au pouvoir”. Voilà bien une figure d’utopie sur laquelle on ne peut accrocher de moustache stalinienne.
Bernard Mérigaud
23 novembre 2016 – Télérama