La solution finale : froide autopsie d’un massacre annoncé
William Karel montre la logique de l’entreprise d’extermination qu’a été la Shoah, par un énorme travail basé sur de nombreuses archives.
Comment la Shoah a-telle pu arriver ? Comment s’est installé le climat qui a permis que l’Europe massacre et fasse disparaître plus de 5 millions de personnes ? Le documentariste William Karel a recueilli une masse impressionnante de lettres, avant, pendant et après la guerre, d’articles de journaux, de notes de service de SS. Il les fait lire à six comédiens, dont Denis Podalydès et Mathieu Amalric.
Les premiers témoignages recueillis sont allemands et remontent à l’année 1935, en Allemagne. Ce sont des paroles inquiètes, devant les restrictions de liberté. Victor Kemplerer, mort des suites des persécutions, parle ainsi du regroupement de tous les juifs dans les mêmes immeubles, avec interdiction d’en sortir après 20 heures, interdiction « de la radio, d’utiliser le téléphone, d’aller à la piscine, au théâtre, au cinéma, à un concert, dans une bibliothèque ou une gare, de s’asseoir dans un jardin public, de monter dans un tramway, d’acheter des jeux, des fleurs, du café, du chocolat, des fruits ». Mais aussi « d’aller chez le coiffeur, de posséder une machine à écrire, un vélo, une chaise longue, d’avoir des animaux de compagnie ».
La presse, les discours de Göring ou des sbires d’Hitler distillent des extraits de langage épouvantable, qui comparent les juifs à des parasites qu’il faut éliminer. Et la solution finale se met en place. Sans aucun état d’âme. Les anciens déportés témoignent, bien sûr. Et Karel convoque les fantômes de Jorge Semprun, Marceline Loridan-Ivens, Charlotte Delbo. La parole de Ginette Kolinka. Les esprits sont préparés et, comme le note Simon, lui aussi mort en déportation, après que les livres eurent brûlé en autodafés, « ceux qui protestaient se sont habitués » et « l’indignation s’atténue ». Ceux qui n’ont pas fui sont pris dans une nasse : leurs biens ont été confisqués, et ils n’ont plus de passeport. Prisonniers.
Les mêmes lettres racontent la complicité entre les polices française et nazie, le cauchemar du Vél’d’Hiv, de tout le système concentrationnaire. Photos à l’appui, on voit débarquer à Auschwitz des familles entières, dont on sait qu’elles seront quelques instants plus tard massacrées. Le réalisateur a retrouvé des lettres jetées des trains, des morceaux de papier où des détenus, au péril de leur vie, racontent Auschwitz. Le documentaire est cru. Brutal même. Mais nécessaire : les nazis ont fait en sorte de laisser le moins de traces possible, et les témoins de cette époque meurent. Pour
faire vivre la mémoire, il est bon de la faire fonctionner.
Caroline Constant