La face cachée des grands crus de Bordeaux

La face cachée des grands crus de Bordeaux

C’est l’envers d’un décor prestigieux. Sa partie invisible. Les grands crus de Bordeaux, châteaux achetés à pris d’or par des multinationales du luxe, des assurances, du BTP, grandes fortunes qui ne savent plus où placer leur argent, exploitent une main-d’œuvre saisonnière et à l’année qui reste cachée. Mais sans ces travailleurs de la vigne, aucun domaine ne pourrait subsister.

L’art de vivre, tant vanté, associé aux grands vins, déploie une image avantageuse du goût, de distinction et de classe. Il dissimule surtout une réalité peu reluisante. Selon les auteurs de ce documentaire édifiant, Ixchel Delaporte (déjà auteure d’un livre sur le sujet aux Éditions du Rouergue) et Olivier Toscer, 60 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté et dans des conditions indignes de précarité, dans le triangle délimité par Saint-Émilion, Pauillac et Sauternes. À Pauillac, le “lumpenprolétariat” de la vigne campe dans une déchetterie.

Premier employeur en Gironde, le secteur viticole et de l’œnotourisme attire quatre millions de visiteurs par an. La route de l’estuaire vers le Médoc qui longe les plus belles propriétés de la région s’affiche comme un fastueux trompe-l’œil. Les sociétés lointaines qui en sont désormais les propriétaires font appel à des entreprises de sous-traitance qui déshumanisent le travail d’entretien et de surveillance de l’or rouge. Ces multinationales vendent du rêve et consolident ce “couloir de la pauvreté”, en employant trois fois plus d’intérimaires que de permanents.
Ces fourmis démunies réclament maintenant considération et dignité. Conscientes de n’être que des outils interchangeables, elles commencent à relever la tête et exigent leur dû. Leur lutte demeure feutrée mais le vent tourne. Certaines associations lancent l’idée d’apposer un label de charte sociale sur les étiquettes. Sous le velouté des grands crus fermente le vinaigre de la révolte.

Jean-Claude RASPIENGEAS