Franck Apprederis : “Jorge Semprún m’a tout appris”
Très ému, Franck Apprederis évoque son ami Jorge Semprún. Et le cadeau que celui-ci lui a fait en lui accordant le bonheur de réaliser son dernier portrait…
Comment avez -vous connu Jorge Semprún ?
Je connaissais Jorge depuis plus de quarante ans. Il était tout pour moi : un ami, un père et aussi un grand frère spirituel. Je l’ai connu en 1970 par lien familial : ma femme Laurence était stagiaire monteuse chez son épouse Colette. Et à son tour, sa fille avait été stagiaire avec ma femme… On habitait à 100 mètres les uns des autres à Paris à Saint Germain et on se voyait tout le temps. L’épouse de Jorge était d’ailleurs la marraine de mon fils aîné.
Que vous a t-il appris ?
Tout ! Jorge m’a rendu intelligent. Je discutais tout le temps avec lui et je me disais « Si un homme comme lui est d’accord avec moi, c’est que je ne suis pas si bête… » Et puis Jorge m’a fait connaître plein d’auteurs. Grâce à lui, j’ai lu Saint Augustin, Gide, Aragon. J’ai découvert « Le sang noir » de Louis Guilloux qu’il considérait comme un des plus grands écrivains français.
L’histoire des deux films présentés aujourd’hui ?
En fait, j’avais déjà travaillé avec Jorge et j’avais envie de réaliser son chef-d’œuvre « L’écriture ou la vie » mais c’était difficilement adaptable. Alors, j’ai lui ai proposé de prendre certains personnages du roman et de leur imaginer une suite. Il a été d’accord et s’est mis à écrire le scénario. Le film s’est fait aussi à partir de certaines situations de « L’évanouissement » Ce qui est fou, c’est que j’ai titré ce film, « Le temps du silence », et que ce temps, c’est maintenant…
Et le documentaire « Empreintes » qui lui est consacré ?
C’était une commande de la télévision. Jorge ne voulait pas de portrait, il disait qu’on parlait trop de lui. Mais quand je lui ai dit que c’était moi qui allais le faire, il a dit de suite oui. On se connaissait tant, il y avait une telle confiance. J’ai enregistré dix heures d’entretiens. Nous sommes allés dans tous les lieux forts de sa vie. à Madrid où il était opposant, clandestin et ensuite ministre, à Paris où il est entré à résistance, au village de Biriatou, au Pays basque, où il souhaitait être enterré, à Bunchewald où il a été déporté… J’étais loin d’imaginer que j’étais en train de faire son dernier portrait vivant.
A t-il vu les deux films ?
Il a vu les deux films. À la sortie de la projection du « Temps du silence », il avait les larmes aux yeux et m’a dit « magnifique » et cela a été ma plus belle récompense. Je suis moi-même très ému en vous disant cela. Car vous savez, avec « Empreintes », c’est Jorge qui m’a fait cadeau de quarante ans de sa vie…
Ami intime de Jorge Semprun, le réalisateur Franck Apprederis présente aujourd’hui à l’ESAV, deux films qu’il a réalisés en 2010 sur et avec l’écrivain disparu. Un hommage à ne pas rater.