INTERVIEW de WILLIAM KAREL

INTERVIEW de WILLIAM KAREL

Après “Le Monde selon Bush”, réalisé en 2004 à quelques mois de sa réélection, vous consacrez de nouveau un documentaire à un président américain en pleine campagne électorale…

Oui, j’ai l’impression de ne faire que ça ! La conquête ou la perte du pouvoir, de Bush à Sarkozy, en passant par Thatcher ou Giscard d’Estaing, sont des questions – des histoires, plutôt – qui me passionnent. Raconter aujourd’hui le premier mandat d’Obama à la Maison Blanche s’inscrit en effet dans cette droite lignée. Avec ce film, nous revenons chronologiquement, pas à pas, sur les promesses non tenues du président américain. Sur les près de 500 propositions qu’Obama a faites durant sa campagne, il a dû en mener disons une et demie à son terme. Le reste, il l’a complètement laissé de côté. Rien sur le changement climatique ni sur les essais nucléaires. Rien non plus contre la peine de mort – pas même un mot de compassion après l’exécution controversée de Troy Davis. Aucune enquête sur le mensonge des “armes de destruction massive”. Par certains aspects, il a même renforcé la politique de Bush, appliquant encore la tristement célèbre Patriot Act qui autorise notamment les écoutes téléphoniques, prolongeant les réductions d’impôts ou continuant à expulser massivement les immigrés mexicains. Imaginez que, en quatre ans, il a reconduit plus de clandestins à la frontière que Bush en huit ans…

L’élection de Barack Obama est certainement celle qui a suscité les plus vives attentes dans le monde. Ne craignez-vous pas d’apparaître trop critique ?

En France, oser critiquer Obama, c’est un sacrilège ! Mais je pense que la moindre des honnêtetés consiste à dresser un bilan objectif de son mandat et à faire un état des lieux de ses “rendez-vous manqués”. Les cinq plus emblématiques sont certainement les promesses de fermer Guantanamo, de mettre fin à la guerre en Afghanistan, de résoudre le conflit israélo-palestinien, de redresser l’économie et de réformer l’assurance santé. Autant d’étapes où Obama a échoué – Netanyahou a franchement saboté le processus de paix, j’espère que le film le montre bien –, même si la situation économique s’est améliorée et si la Cour suprême a finalement validé la réforme de l’assurance santé. Nous avons longuement bataillé pour pouvoir interviewer les conseillers à qui Obama avait confié ces cinq réformes ainsi qu’une dizaine de ses plus proches collaborateurs, de son caméraman attitré à sa secrétaire générale adjointe en passant par le rédacteur en charge de ses discours. Tous, à l’exception du conseiller à la Sécurité nationale Anthony Blinken, ont depuis quitté la Maison Blanche. Ils sont les premiers “déçus” de sa politique. L’intervention de cinq journalistes américains parmi les plus prestigieux (reporters au New York Times ou au Washington Post) permet de compléter leur éclairage et leurs commentaires.

Contrairement au Monde selon Bush, où la conduite du président américain était racontée et commentée “de l’extérieur”, par ses principaux détracteurs, ce nouveau film est une vue “de l’intérieur”, jusque dans les couloirs et les bureaux de la Maison Blanche, renvoyant d’emblée l’image d’un président plus accessible, plus humain…

Un président plus sympathique, oui, j’espère… Mais aussi quelque peu naïf, irréaliste, mal préparé et mal conseillé. Son chef de cabinet Rahm Emanuel a été en quelque sorte son mauvais génie.

Même les images “au cœur de la Maison Blanche” ne tiennent pas tout à fait leurs promesses. Vous avez choisi de montrer les nombreuses portes qui se ferment…

Oui, et c’est souvent Barack Obama lui-même qui claque la porte au nez des caméras ! Ces images proviennent des archives de NBC News. A chaque nouvelle investiture, la chaîne installe une trentaine de caméras à l’intérieur de la Maison Blanche pendant vingt-quatre heures. Les opérateurs font des travellings dans les couloirs, montent des plans complexes sur grue, s’immiscent dans l’intimité de certaines réunions, comme celles entre Barack Obama et Hillary Clinton, ou deviennent les témoins privilégiés de moments inattendus, comme lorsque le nouveau président décide d’aller acheter lui-même une centaine de hamburgers pour ses collaborateurs. NBC News se contente en général d’un montage d’une heure et relègue les rushs au placard. Nous avons pu avoir un accès libre à toutes ces images pour organiser notre film. L’occasion de montrer Obama comme on ne l’a jamais vu.

La Maison Blanche vous a-t-elle laissé utiliser librement toutes ces images ?

Sans aucune réserve, si ce n’est un droit de regard pour des raisons de sécurité. Je pensais par exemple que le long plan séquence qui démarre du rez-de-chaussée de la Maison Blanche jusqu’à la Situation Room (la salle de crise) au sous-sol serait interdit puisqu’il dévoile le trajet qui mène à cette pièce secrète. Or, nous avons eu l’autorisation de l’utiliser sans aucune contrainte. En revanche, nous avons dû supprimer une scène aussi anodine que celle montrant Barack Obama sortant de sa voiture. On voyait au détour du plan le blindage de la portière, ce qui risquait de compromettre sa sécurité.

L’armature du documentaire est constituée par les entretiens face caméra. La “patte” William Karel ?

J’ai l’impression de bégayer de film en film, car j’applique, en fin de compte, toujours le même principe. Sur les vingt témoins interviewés, chacun apparaît à l’image entre trois et quatre minutes. Ces interventions sont le fruit de longs entretiens, près de deux heures, menés avec James Traub, ancien collaborateur du New Yorker et journaliste au New York Times Magazine. Ensuite, charge à moi de couper leurs réponses, de les tricoter entre elles et de les agencer pour qu’elles racontent une même histoire.

Les intervenants s’expriment sans aucune langue de bois. Comment obtenez-vous une telle liberté de parole ?

Je crois que le principe d’un long entretien leur plaît. Ils sont habitués, avec les télés américaines, à des interviews express de dix minutes qui, une fois à l’antenne, ne représentent plus que trente secondes. Là, ils sont heureux de se plier à ce jeu d’une parole douce, progressive, à la première personne. Et puis, ayant pour l’essentiel quitté leurs fonctions, ils parlent d’autant plus librement de leur expérience à la Maison Blanche.

Pourquoi le bilan d’Obama est-il si critiqué ? Que s’est-il passé ?

Le président s’est vu reproché très tôt son indécision chronique. Naïf, utopique, peu réaliste, il a minimisé le poids des lobbies, des banques, du Sénat, du Congrès et surtout la puissance des Républicains et leur acharnement à détruire son mandat. De plus, il a voulu tout mener de front. Souvenez-vous : il entre en fonction le 20 janvier 2009, signe le démantèlement de Guantanamo le 21 et, le 22, lance le processus de paix israélo-palestinien ! Ses conseillers lui avaient pourtant recommandé d’espacer les réformes, à raison d’une tous les deux mois, mais il ne les a pas écoutés…

Quelle leçon tirer de ce mandat ?

Il faut quand même rappeler que Goldman Sachs a été le deuxième contributeur de la campagne électorale d’Obama en 2008. Il n’est pas difficile, dès lors, de comprendre comment il a “sauvé Wall Street” en renflouant les banques avec l’argent des contribuables… En fait, ce film montre que le président des Etats-Unis n’a que très peu de pouvoir. Dès qu’il n’a plus la majorité au Congrès, au Sénat ou à la Chambre des représentants, il est impuissant…

Le mouvement des deux épisodes dessine une trajectoire plutôt amère. Barack Obama “a changé”, aux dires de vos intervenants. Un constat particulièrement frappant lors de la scène du Correspondents’ Dinner sur laquelle vous revenez longuement…

Il révèle là sa part cynique et froide. Comment peut-il plaisanter ainsi, assurer un tel show devant les journalistes et, entre deux blagues, descendre à la Situation Room pour lancer l’opération contre Ben Laden ? Tous nos témoins se montrent surpris par son attitude. D’autant que son commentaire (“Justice est faite”) à la mort du leader d’Al-Qaïda révèle une droitisation de son discours que n’aurait pas reniée l’administration Bush… J’ignorais que ces deux événements se jouaient simultanément. Et je consacre en effet vingt minutes à cette soirée, car elle représente le moment clé de la présidence d’Obama, celui où, vaincu aux élections de mi-mandat et au plus bas dans les sondages, il repart en campagne. Dès le lendemain de l’élimination de Ben Laden, il prépare de fait sa réélection. Aux Etats-Unis, la durée des mandats présidentiels – quatre ans – est extrêmement courte. De l’aveu de ses proches, Obama a mis près d’un an à comprendre vraiment le fonctionnement de Washington. Autrement dit, quand il est enfin prêt à gouverner, il lui faut déjà rentrer en campagne. D’où la conviction unanimement partagée qu’un deuxième mandat lui permettra vraiment d’appliquer son programme de 2008.

Au cours de son discours, prenant à parti Donald Trump qui remettait en cause sa nationalité américaine, il ironise même sur le fait que les Américains aient marché sur la Lune, comme un clin d’œil à votre documentaire Opération Lune…

Alors là, oui, j’ai sauté de joie !

A bien des égards, votre documentaire renvoie souvent à un imaginaire de cinéma…

Oui, le modèle évident, c’est la série A la Maison Blanche, premier exemple d’un président noir à la tête des Etats-Unis. Tout le monde là-bas a cette référence en tête et les images de NBC News renforce cette impression de fiction permanente, au cœur du réel. Nous avons même poussé le jeu de miroir jusqu’à dédier le film à Kathryn Joosten, l’actrice décédée en juin dernier qui interprétait le rôle de la secrétaire du président dans la série. Cette mise en scène de la vie politique est véritablement ce qui me passionne. Pensez que, après sa démission, Margareth Thatcher a recréé chez elle une pièce identique à celle du conseil des ministres. Ses anciens collaborateurs y venaient tous les mardis pour y tenir un faux conseil… Autre exemple : au Portugal, quand Salazar a été écarté du pouvoir, il a continué à recevoir ses “ministres” (en fait, des comédiens) avec qui il décidait de réformes totalement fictives, consignées ensuite dans un journal imprimé en un seul exemplaire, à son seul usage. Quand Obama se rend “le plus simplement du monde” dans un fast food pour acheter des hamburgers à son équipe, on nage encore et toujours en pleine fiction. Ce que les caméras ne montrent certainement pas, c’est que, après son passage, des centaines d’agents des services secrets ont dû examiner de près tous les clients du restaurant !