Interview de Thierry Donard concernant Pushing the limits
L’extrême est un état d’esprit, la notion de dépassement de soi est devenue plus importante que de prouver quelque chose à quelqu’un. L’esprit de “repousser les limites”, c’est avant tout l’humilité. C’est une sorte de quête du Graal. Une façon de croire à certaines valeurs. Ne jamais être satisfait de soi-même, repousser ses limites sans jamais les dépasser, uniquement pour un plaisir personnel. Etre pleinement des hommes. Simplement des hommes, au sens originel. Je veux dire, dans la nature.
On ne joue pas avec les éléments. La nature exige de la rigueur et une parfaite connaissance de l’environnement. Selon l’état d’esprit avec lequel on approche les dangers, soit on les évite, soit on les provoque. Comme on le voit dans le film, Dominique est un homme seul sur sa falaise qui saute en Base-Jump*. Il se concentre avant de sauter, il communie avec la nature parce qu’il respecte l’endroit où il se trouve, il évalue le danger et maîtrise sa peur. Et après, c’est le plaisir… Des jours d’efforts pour quelques secondes d’extase. Défier la nature demande forcément de l’humilité. Dans ces lieux magnifiques et grandioses, on ne cherche pas à être les maîtres du monde. Dominique, s’il s’écrase au bas du Portalet, le Portalet ne va pas bouger d’un millimètre ! Ça ne va pas changer la montagne, ni le cours du monde. De toute façon, un jour ou l’autre, la nature te bouffe…* “Building Antenna Stand Earth-jump” : saut d’un building, d’une antenne, d’un pont, d’une falaise.
Dans le film, vous vous définissez comme des “repousseurs de limites”, des gens qui vivent d’adrénaline et d’air pur. D’où vient votre désir de faire un film sur vos expériences de l’extrême et sur les “mutants de l’exploit” ?
Toutes mes passions sont réunies dans PUSHING THE LIMITS : l’aventure, la nature, le dépassement de soi, l’amitié, la tribu… J’ai grandi dans la vallée de Chamonix, nourri par les exploits d’alpinistes mythiques tels que Desmaison, Gary Heming, dans un esprit un peu aventurier et casse-cou. En plus, j’ai toujours été un passionné de cinéma. A Chamonix, quand j’étais môme, j’animais un ciné-club avec un vieux projecteur à charbon ! J’ai fait de la compétition de ski de haut niveau, en professionnel. Ensuite j’ai commencé à tourner comme cascadeur pour des productions américaines et même japonaises. Puis je suis passé derrière la caméra et j’ai monté ma maison de production de films sportifs et publicitaires. J’essayais toujours de trouver des emplacements surprenants pour la caméra. Un jour, à Los Angeles, j’en ai eu assez de cet univers. Je suis parti m’aérer un peu et alors que je passais une nuit à dormir à la belle étoile sous un arbre du Yosemite Park, j’ai eu comme une révélation : PUSHING THE LIMITS, c’était le symbole, l’idée du film que je voulais faire.
Comment avez-vous réussi à mener à bien le projet de cette grande aventure ?
Je suis rentré à Chamonix où j’ai fait le tour de mes copains et nous avons monté l’équipe de MGA (Multi-Glisse Aventure). Un groupe d’individualités qui partagent une même passion, des spécialistes en leur domaine, capables de faire des choses fortes et folles à la fois. Nous avons posé certains principes : ne pas tomber dans la fièvre du star-système, de la surenchère inconsciente, ne jamais entrer en compétition entre nous, ne pas perdre la notion du danger, ne pas gâcher notre satisfaction personnelle qui réside dans le dépassement de soi pour soi. “Pushing…”, c’était ma vie. Je ne quittais pas ma caméra, prêt à partir à n’importe quel moment aux quatre coins du monde pour ramener quelques images d’un saut de quinze secondes ! Ca ne faisait même pas un sujet à vendre à la télé… Si le gars voulait s’arrêter, on ne le forçait pas à accomplir son exploit. On ne demandait jamais aux médias de couvrir l’événement. On a fait quelques courts-métrages, mais je rêvais d’un film, un vrai, de cinéma ! Après trois ans d’amitié très forte entre copains, l’idée est née de raconter cette histoire. Celle de copains qui au départ accomplissent des exploits pour eux-mêmes et qui, du jour où ils se mettent au service d’une chaîne de télévision pour financer leur projet, perdent le sens réel de leur aventure. Alors c’est la course au sensationnel, à l’audimat, la fièvre du succès, la surenchère dans la compétition, jusqu’à risquer leur amitié. Mais ils ne se laisseront pas prendre au piège.
Chaque “héros” du film accomplit des exploits impressionnants. Dominique (base-jumper) saute de falaises vertigineuses, Eric et Christophe (snowboarders extrêmes) descendent des pentes presque à pic à une vitesse folle, Jean-Louis (skieur de “straight down”) dévale tout schuss presque sans toucher la neige, Marc Twight (iceclimber) escalade des parois verglacées.
Pour Dominique, guide à l’Ecole Militaire de Haute Montagne, le but est de sauter depuis des rochers pas forcément verticaux, avec des ressauts qui reviennent dans l’aplomb. Il a eu l’idée folle d’adapter à la nature ce sport américain hors-la-loi. Au lieu de sauter de l’Empire State Building, il préfère les lieux mythiques de l’alpinisme, comme le Druz à Chamonix. Après des marches d’approche difficiles, arrivé en haut d’un sommet d’où il ne peut plus redescendre, il jette une orange dans le vide pour chronométrer le délai de l’impact contre la paroi et mémoriser le nombre de secondes pour “vivre” sa chute. Dominique est un vrai mutant. Avant de sauter, il accomplit tout un rituel, il est comme dans un état second. Il mémorise ses gestes pour trouver son équilibre dans l’air, car évidemment en chute libre on n’a aucun appui. L’excitation du moment est très forte, c’est une formidable montée d’adrénaline ! Dominique a une notion du temps différente de la normale. Il est capable en une seconde de décider du geste qui évitera l’accident. Mais pour lui, les six secondes que durent son saut dans le vide se transforment en une sorte d’extase qui dure une éternité.
XIGOR, le “surfer d’argent”, surfe dans les airs comme le Condor mythique et réussit à se poser sans parachute…
C’est l’aboutissement logique de son parcours. Le plus fou, c’est qu’il prévoit d’abord un parachute et qu’au dernier moment, il le dépose avant de sauter. our être libre à 100 %. Dans le film, XIGOR fait d’abord une course contre un avion, poussé par FARJONNES, le producteur de l’émission télévisée “Extreme Game”. C’est le duel de l’homme contre la machine. Ils se lancent à 6.000 mètres d’altitude au-dessus du glacier. L’avion, super-puissant avec sa turbine de 800 chevaux, pique en faisant des cercles. La prouesse est de ne pas entrer en contact avec le skysurfer en chute, il le décapiterait. XIGOR, lui, utilise les appuis aérodynamiques de son skysurf pour glisser à travers les nuages, la difficulté est décuplée en Bolivie car en fait ils atterrissent quasiment à une altitude de 4.300 mètres. Les réflexes sont moindres, le froid est terrible, on est engourdi et ivre d’altitude. La rareté de l’oxygène donne des images splendides mais peut faire perdre une partie de cette lucidité qui est essentielle quand tout moment d’égarement peut être fatal. François, notre caméraman, a fait une chute mortelle pendant le tournage au-dessus du Lac Titicaca. Ce sont ses propres images que l’on voit. Je n’ai bien sûr pas montré sa chute, je ne veux pas faire d’exhibitionnisme. François était illuminé par la beauté des images qu’il ramenait. Il réussissait l’exploit de filmer avec une lourde caméra 35 mm de 6 kg posée sur la tête, dans les airs où tout mouvement est extrêmement fatigant et où il faut compter avec le déplacement d’air du surfer. Dans notre équipe, il nous est tous arrivé de vivre des expériences dramatiques. On s’en sort alors que l’autre, juste derrière soi, tombe dans une crevasse parce qu’il a mis son pied un peu trop à gauche.
Des acteurs vous ont suivi dans cette folle aventure, comme Fiona Gelin et Mark Twight.
Fiona m’avait dit au casting : “Je sais skier”. En fait, elle n’était pas remontée sur des skis depuis 15 ans ! Le premier jour, elle s’est retrouvée en haute montagne, dans un domaine vierge et grandiose à 3.400 mètres d’altitude. Elle tombait tous les dix mètres ! Là j’ai découvert une personne d’une immense volonté et d’un vrai courage. Pour suivre notre aventure, nous voulions quelqu’un proche de nos idéaux, conviviale, sensible aux valeurs humaines. En deux ans de tournage, Fiona est devenue une vraie baroudeuse. En Bolivie, elle a partagé notre vie sous la tente au camp de base du El Condorieri à 5.500 mètres d’altitude, par moins 20° la nuit… Elle a eu une véritable complicité avec l’aigle royal qui se pose sur son bras. Si vous avez peur ou si vous faites un faux mouvement, cet animal sauvage peut vous transpercer le bras de ses serres. Un coup de patte sur le visage et elle était défigurée… Fiona a accompli des prouesses.
Pour filmer un posé de l’aigle au coucher du soleil, on n’a droit qu’à une seule prise, si elle est ratée, on ne peut la recommencer que le lendemain. Fiona a complètement vécu l’histoire de “Pushing…” Je crois qu’elle a compris qu’on était vraiment des fous, des barges de l’aventure. Le jour du tournage de l’avalanche nous étions dans les nuages en hélicoptère, à cause du mauvais temps, on a dû se poser et passer la nuit dehors. Nous étions quinze. Fiona nous a vu construire des igloos. Moi, j’ai commencé à empiler quelques cailloux à l’abri du vent dans la flotte et dans la neige. Elle me dit : “Mais qu’est-ce que tu fais ?” Je lui réponds : “Je fais mon lit… Toi, tu dors dans l’hélico, eux dans les igloos, mais moi je suis claustrophobe, j’ai toujours peur que l’igloo s’écroule, alors je me fais un petit coin tranquille !” En se plongeant totalement dans cet univers, elle a pu jouer au plus juste ce rôle de journaliste baroudeuse traversant le monde entier pour filmer les exploits de sportifs. Elle a apporté d’autant plus de crédibilité qu’elle avait longuement côtoyé tous ces aventuriers.
Mark Twight est un spécialiste de l’escalade sur glace. Il est habitué à l’épreuve physique. C’est un alpiniste parmi les plus doués, de la trempe des meilleurs, auteur de nombreuses “premières”. Parallèlement à ses activités de montagne, il a suivi des cours d’art dramatique. Il a du charme et du charisme. Mais surtout, il a une approche très sensible de la montagne. C’est un véritable artiste, un poète inspiré par la nature et la mort. Je crois qu’il fait passer ce romantisme dans les images. C’est pour toutes ces qualités que je l’ai choisi pour le rôle principal. C’est quelqu’un d’authentique.
Vous vous êtes lancés un nouveau défi en décidant de tourner en 35 mm.
Oui, ça aussi c’est très “pushing the limits“, une volonté de dépassement. Les prouesses sportives, nous les avions déjà faites. Je ne voulais pas demander à mes copains de faire encore mieux. C’était impossible. Alors j’ai voulu faire plus beau, plus grand, pour le public. J’ai placé mes caméras pour que ce film soit avant tout un grand spectacle. Je voulais qu’on découvre la réalité du plaisir de ces types en pleine nature, dans les grands espaces et non pas faire un film subjectif et nombriliste avec une caméra placée devant le visage. Filmer en 35 mm, c’est multiplier tout par quatre, le poids, l’encombrement, bref tous les problèmes… Une caméra 35, ça veut dire un hélico, avec quatre gars, le caméraman, son assistant qui porte un trépied et deux porteurs pour les magasins et les optiques. Avec du 16 mm, je pouvais partir tout seul, la caméra sur le dos et le trépied à la main, mais là…
Un mot peut résumer votre film : l’authenticité. Les exploits ne sont pas reconstitués en studio ni truqués avec des effets spéciaux.
Dans ma recherche de vérité et de pureté, en écrivant le scénario, je n’ai jamais songé une seule seconde à bidonner les exploits. Et peut-être aussi par innocence ! L’idée était toujours filmer dans les conditions même de l’action. Tous les sportifs ont joué leur propre rôle. Fiona a réellement sauté en parachute. J’aurais pu l’attacher sous l’hélicoptère en studio avec un ventilo et faire des gros plans sur elle en train de parler, ça aurait été peut-être plus payant, mais ce n’est pas mon truc. Pour la séquence où XIGOR en skysurf dispute une course contre un avion, la facilité aurait été de construire une maquette. Il a fallu trouver l’appareil qui convenait le mieux, modifier le pas de l’hélice, dénicher le pilote qui sache piquer, adapter le surf, le casque, prendre toutes les mesures de sécurité et en plus imaginer la meilleure façon de filmer tout ça ! La scène a pris quatre mois de tournage. De même, au lieu d’emmener les gars au Lac Titicaca, on aurait pu filmer des raccords au-dessus du Lac d’Annecy, pour moins de temps et moins d’argent, mais pour nous ça n’aurait plus été la même histoire. On a passé trois ans d’aventures entre copains. A vivre de manière plus qu’austère, à prendre des risques pour voler quelques images de sauts de falaises, tout ça parce qu’on avait la même passion. Notre projet dépassait aussi les limites du cinéma ! Et puis l’authenticité, elle vient avant tout des gens. En montagne, les gens sont restés authentiques.
La bande-son du film est secouante !
C’est un film pour les jeunes, la bande-son a une importance primordiale. Les jeunes recherchent des images ET du son. Ils aiment souvent les films américains aussi pour la musique. La difficulté pour nous était de trouver les morceaux qui collent aux images et susceptibles de correspondre aux goûts actuels ou à venir. Par SONY Music, on a eu accès aux groupes de la scène de Seattle. On a pu travailler artistiquement, sans nous soucier de la notoriété des groupes qui nous intéressaient, français ou anglo-saxons : Suicidal Tendencies, Toad the Wet Sprocket, The Young Gods, Curve, NMFT, Deacon Blue, Immaculate Fool, Black Buddha… sont dans la B.O. Pour l’underscoring, la musique additionnelle, on a travaillé avec T21. Je crois qu’on a eu du flair, car depuis notre choix, certains de ces groupes connaissent une véritable explosion outre-atlantique.
Et Edward Meeks ?
Je l’ai choisi d’abord sur un souvenir de gosse : j’adorais suivre ses aventures dans la série “Des Globe-Trotters”, il me faisait rire et rêver. Plus tard, je l’ai rencontré à Chamonix lors du tournage de la série télévisée “la Voix Jackson” avec Sami Frey. C’était un excellent téléfilm sur la montagne et les émotions qu’elle procure, de l’angoisse à l’exaltation. Pour le rôle de FARJONNES, j’avais besoin d’un personnage sarcastique, excentrique, avec une dimension internationale. C’était parfait pour Edward ! On s’est amusé à lui donner un look un peu caricatural très bande dessinée, en forçant sur le machiavélisme et la mégalomanie, sur fond de château baroque. Il faut le voir tirer sur son cigare en caressant son python domestique devant la régie multi-écrans ! Un peu plus sérieusement, son rôle représente le danger toujours présent d’une dérive des médias vers le sensationnel au mépris de la vie.
Propos recueillis par Gaillac-Morgues