INÉDIT : ALBUM(S) D’AUSCHWITZ – Interview de William Karel
Album(s) d’Auschwitz raconte les histoires croisées de deux albums de photographies. Celui découvert par Lili Jacob, une jeune fille juive rescapée, au camp de Dora en 1945. Les photographies de cet album décrivent l’arrivée à Auschwitz, le 26 mai 1944, d’un convoi de juifs hongrois. Elles révèlent les quelques heures précédant le meurtre dans les chambres à gaz de la plupart d’entre eux. Lili Jacob faisait partie de ce convoi. Et l’album de Karl Höcker, officier SS, retrouvé en 2007, composé de photographies prises au cours de ce même mois de mai 1944, et qui restituent les joyeux moments de détente de Höcker et d’autres officiers SS, responsables du camp d’Auschwitz.
Les photographies de ces deux albums ont toutes été prises par des SS. Mais la ressemblance s’arrête là. Chacun de ces albums est en quelque sorte, le négatif de l’autre et ce film donne à voir simultanément, dans l’impensable quotidien d’Auschwitz, ceux qui furent les victimes et ceux qui furent leurs bourreaux.
Ce document inédit est proposé à 22h45 ce mardi.Réalisé par William Karel et Blanche Finger. Produit par Flach Film Production.
William Karel : “Je connaissais depuis longtemps le premier album, celui de Lili Jacob. Avec Blanche Finger, nous avons fait un film il y a vingt ans, La Rafle du Vel-d’Hiv’, dans lequel nous avions utilisé des photos de cet album que Lili avait retrouvé à la fin de la guerre. On a appris l’existence de l’autre album il y a deux ou trois ans, lorsque l’officier américain qui le détenait a décidé avant de mourir de le donner au musée de Washington. Jusqu’ici, personne n’en avait entendu parler. Une fois que nous avons su que des rapprochements avaient pu être faits, puisque les deux albums ont été réalisés pratiquement au même moment, on a décidé de raconter l’histoire de Lili Jacob, à travers les deux albums“.
A votre avis, à quoi était destiné l’album trouvé par Lili Jacob ? Pourquoi n’a-t-il pas été détruit ?
Si on peut considérer que le second album a été réalisé au titre de « souvenirs de vacances », ce que confirment les légendes des photos, la question reste posée pour le premier. Dans la mesure où c’était strictement interdit, où les consignes étaient de ne laisser aucune trace de ce qui se passait à l’intérieur du camp, les chercheurs se demandent toujours aujourd’hui pourquoi et surtout pour qui a été fait cet album. Comme il ne montre que des images très calmes, sans aucune scène de violences, c’était peut-être – mais cela reste un avis personnel – fait pour rassurer, pour montrer que tout se déroulait dans le calme, que les gens arrivaient, qu’on les emmenait au travail…
La culpabilité de Karl Höcker aurait-elle été assurément démontrée si son album avait pu être produit lors de son procès ?
Certainement. On se demande toujours pourquoi l’officier américain qui a retrouvé l’album en 1945 et qui l’a emporté à Washington l’a gardé secret durant soixante ans. Ce document aurait pu être utilisé comme preuve de la présence des différents accusés lors du procès de Francfort, en 1964. Höcker n’a eu de cesse de minimiser son rôle, disant qu’il n’avait aucune importance, alors que les images le montrent avec tous les principaux responsables du camp. La plupart des accusés du procès, confrontés à l’album, auraient pu être confondus. On est allé chercher Lili Jacob pour le procès, avec son album, à Miami où elle était serveuse. Cela a suffi à Simon Wiesenthal pour démontrer la culpabilité d’un des accusés, qui n’était qu’un simple officier. Mais pas pour faire condamner Höcker, qui n’écopa que de sept ans de réclusion et n’en fit que cinq. L’histoire de Lili Jacob est intéressante, parce qu’on avait déjà bien avancé dans la réalisation de ce documentaire lorsqu’on a su qu’elle avait témoigné pour la fondation Spielberg. Notre archiviste a retrouvé cet entretien et cela a changé le ton du film, qui était initialement construit autour des enregistrements audio du procès de Francfort.
Que pensez-vous de l’attitude de Lili Jacob, qui résiste longtemps avant de finalement accepter de témoigner ?
Il y a effectivement chez elle une sorte d’acharnement à vouloir garder cet album, durant tout ce temps. C’est finalement Serge Klarsfeld qui l’a finalement convaincue de le donner, puis elle a cet entretien pour la fondation Spielberg et décède environ trois ans plus tard.
L’opposition des photos de prisonniers dirigés vers la mort avec celles des SS en repos à Solahütte est saisissante, même si on peut penser que les Helferinnen ignoraient sans doute la terrible réalité…
Oui. Celles qui ont témoigné plus tard au procès disaient qu’elles ne savaient pas. Les historiens que nous avons rencontrés et qui travaillent au musée d’Auschwitz pensent néanmoins qu’elles devaient nécessairement se douter de ce qui se passait, qu’elles ne pouvaient pas ne pas voir certains signes indicateurs. C’était donc très étonnant de rapprocher les deux albums. On avait décidé dès le départ qu’il n’y aurait aucune image de mort, d’extermination. Nous en avions beaucoup à notre disposition, mais je trouve que les photos de l’album de Lili sont très fortes car justement on ne voit pas ce qu’on s’attend à voir. Ce sont des enfants, des mères, assis sur l’herbe, qui attendent le moment de partir, pendant qu’on entend les mots des nazis, notamment ceux de Rudolf Höss, le commandant du camp, dont la femme lui reproche de trop travailler, comme s’il était un employé de bureau. C’est une histoire de fous.