LA VIE DE FAMILLE

LA VIE DE FAMILLE

"J'ai perdu la mémoire de ma propre enfance, alors j'y retourne à travers celle que j'invente" (J.D.). Ce film est l'histoire d'un voyage et d'une tentative de règlement de compte amoureux entre un père et sa fille. Emmanuel (Sami Frey) vit à Aix-en-Provence avec Mara (Juliet Berto), sa seconde femme, et Natacha (Juliette Binoche), la fille de celle-ci, quinze ans. Chaque samedi, en dépit de la culpabilité et des orages que cela provoque, Emmanuel s'en va chez sa première femme, Lili (Aina Walle), pour y chercher Elise (Mara Goyet), sa propre fille, et passer le week-end avec elle. Cette fois, Emmanuel va réussir à s'arracher tant bien que mal à sa propre culpabilité envers Mara, à la tendresse de Lili et aux relations ambiguës qu'il amorce avec Natacha pour entraîner sa fille dans un long voyage en voiture. Parcours géographique certes, mais surtout intérieur, quasi-initiatique. De prétexte en prétexte (poursuite de Natacha en fugue, tournage en vidéo d'une petite histoire, promesse d'aller au Prado voir les Goya, fuite devant des ennemis menaçants), le père attire peu à peu sa fille vers la chambre d'un grand hôtel de Madrid qui se révèle un véritable piège amoureux. Comme pour tenter de saisir l'enfant qu'elle ne va pas tarder à cesser d'être, et, d'abolir cette distance insupportable qui demeure entre le père et la fille, malgré leur complicité, leur peur commune, leur besoin partagé de fuir... Le père est un personnage excessif, qui demande trop... mais on ne demande jamais assez. Je montre la passion et la passion est excessive. Il faut savoir la regarder" (J.D.). Après le défi, la lutte, le rire, ce long périple qui est aussi un long voyage de l'un vers l'autre, va se terminer le mardi matin sur l'aéroport de Madrid, après une nuit d'explications douloureuses entre le père et sa fille.

Réalisateur

Jacques DOILLON

REVUE DE PRESSE

Mara Goyet
Interview de Jacques DOILLON

L’histoire – à 3 voix – de la naissance du nouveau Doillon. Un travail de piratage psychologique. Mara Goyet (11 […]

Note D'intention de Jacques DOILLON concernant LA VIE DE FAMILLE

Au départ de cette "Vie de Famille", il y avait l'envie de montrer un père qui aurait été insuffisant, un peu absent, et qui se dirait qu'il est peut-être encore temps pour lui de faire quelque chose pour ne pas tout perdre de sa fille. Un père qui pourrait y croire un peu, pour qui ce serait depuis longtemps un rêve important : "Un jour je partirai avec ma fille..."

Mara Goyet

Interview de Jacques DOILLON

L'histoire - à 3 voix - de la naissance du nouveau Doillon.
Un travail de piratage psychologique.



Mara Goyet (11 ans) :

Sur le tournage j'avais l'impression d'avoir trois pères. C'était pas grave, des pères je m'en fais partout, et dans l'équipe je m'étais fait deux mères aussi, mais ce qui est dur c'est que parfois je ne savais plus si j’étais encore Mara. C'était trop sérieux. Ça faisait comme une trahison, j'avais l'impression d'être hypocrite, de tromper...

Jacques Doillon (metteur en scène) :

Sami Frey et Mara ont presque trop joué le jeu, et la fin du film rend bien compte de ce qui s'est passé. Ils nous ont emmenés là où on voulait les entraîner mais on ne savait pas s'ils allaient réussir à "donner" quand il le fallait. Ils avaient un peu tendance à partir sans prévenir. Ils ne nous ménageaient pas...

Mara Goyet :

Quelquefois je ne jouais pas le texte, parce que je savais que le soir papa et Jacques retravailleraient la scène suivante pour nous rattraper. Pourtant tout était écrit et j'apprenais par cœur avec la scripte ou toute seule. Mais pas avec mon père... Je lui posais toujours des questions pour qu'il m'explique et il n'aimait pas ça. Il ne voulait pas me répondre.

Jean-François Goyet (scénariste du film et père de Mara) :
Le fait que Jacques ait tourné les scènes à peu près dans l'ordre du récit a donné beaucoup de souplesse. On se doutait dès le départ que ce qui se passerait pendant le tournage entre Mara et Sami aurait une grande importance, surtout pour la fin du film. Il fallait pouvoir coller à tout ça, rester ouvert. Mais ça n'est pas au tournage qu'a commencé le travail de piratage biographique.

Jacques Doillon :
J'avais un ou deux points de départ. Le ton général de la nouvelle d'Updike, et l'histoire de ce père qui entraîne sa fille dans un voyage. Il y avait aussi l'excitation d'être obligé de fournir très vite quelque chose. Sans connaître beaucoup Mara, je la regardais évoluer depuis longtemps, en me tenant à distance. C'était une évidence qu'un jour prochain je lui tomberais dessus pour faire un film. Et pour le piratage, Jean-François était en première ligne. C'était un bon prétexte pour que nous travaillions ensemble.

Jean-François Goyet :
Jacques a demandé à Mara si elle voulait tourner. Elle n'a pas sauté au plafond mais elle a dit oui.

Mara Goyet :
Il n'était pas question de dire non. C'était évident pour moi. Le scénario je ne l'ai lu que bien après. Et en sautant beaucoup de choses. Maintenant si on me proposait de faire un autre film je réfléchirais. Je sais que c'est difficile. Plus que je ne le pensais.

Jean-François Goyet :

J'ai commencé le travail à ce moment là. Ce qui m'intéressait c'était de traiter ces deux là comme une sorte de couple, trop rêvé pour bien fonctionner, mais sans recommencer les habituelles histoires d'enfant écartelé entre papa et maman ; et aussi de faire un portrait de père pas trop flatté mais exact.


Jacques Doillon :
Ce père on peut le trouver monstrueux. Moi je crois qu'il est plutôt touchant, plutôt honnête. Bien sûr il demande trop, (avec parfois trop de précipitation et d'impatience), mais n'est-ce pas le minimum qu'on peut demander ? Et j'aime qu'il le demande avec un certain style, en faisant attention à la qualité des mots, des sentiments, sans cacher son besoin de compréhension. Sami n'est pas un comédien qui joue en force, il fallait cette délicatesse dans le "toucher" pour faire passer les demandes exorbitantes de ce personnage abusif.

Jean-François Goyet :
C'est un personnage fait de pièces détachées volées un peu partout. A nous-mêmes bien sûr, mais aussi à bien d'autres pères qui nous ont frappés. Et le tournage n'a été que le lieu du dernier vol.

Mara Goyet :
C'est vrai que quelquefois je n'avais plus envie de dire mes sentiments. Tous finissaient dans le dialogue.

Jean-François Goyet :
Le genre de rapport qui s'était installé entre Sami et Mara nous a surpris au début, mais ça ne tombait pas si mal. Chacun attendait que l'autre fasse le premier pas, ce qui amenait à des positions un peu raides : une sorte de pudeur et de désir de montrer son indépendance.

Jacques Doillon :
A la fin Mara et Sami avaient du mal à cohabiter dans le même plan. Il y en avait toujours un qui fuyait. Il a fallu les amener jusqu'à la chambre d'hôtel de Madrid parce qu'ils se dérobaient l'un et l'autre tout en sachant qu'ils ne pouvaient plus reculer. Mais c'était leur grande angoisse parce qu'ils savaient que dans cette chambre on ne leur ferait pas de cadeau.

Jean-François Goyet :
Cette dernière scène, que nous avons longtemps appelé la "scène du procès" et où le père devait contraindre sa fille au règlement de comptes et comprendre aussi qu'il n'était venu que pour ça, nous l'avions laissée ouverte. Elle excitait Jacques depuis le début, mais elle dépendait énormément de ce qui se passerait au cours de tout le tournage. Celle qu'on voit dans le film n'est pas très loin de ce qui était prévu, hors le fait que le père et la fille devaient se parler face à face. Finalement c'est plutôt une scène de confessions parallèles qu'un procès mais je crois que les comptes s'y règlent sans ménagements.

Mara Goyet :
Quand Jacques m'a mise toute seule devant la caméra vidéo et qu'il fallait que je pleure, je n'y arrivais pas, je ne voulais pas. Alors il m'a raconté des choses méchantes, il m'a menacée de rajouter des scènes sentimentales et je déteste ça. Là, j'ai pleuré. Je lui en voulais, mais pas longtemps.

Jean-François Goyet :
Cette vidéo portable est un prétexte pour le père, dès le début. Prétexte pour garder sa fille avec lui, prétexte pour retourner voir sa femme, prétexte pour pouvoir regarder Elise tant qu'il lui plaît. Prétexte encore quand elle lui permet d'entraîner Elise en Espagne pour y finir son film... Enfin, dans l'explication finale, elle permet à Emmanuel de dire et de faire dire des choses qui n'auraient pu se dire à bout portant. La fameuse machine pour se parler dont Elise prétend avec la plus parfait mauvaise foi qu'ils n'ont pas besoin. Sûrement un peu aussi ce qu'est le cinéma pour Jacques !

Jacques Doillon :
Bien sûr. Un professionnel de la communication c'est justement quelqu'un qui ne sait pas communiquer. La caméra sert à cela. C'est une manière de se faire aimer ou accepter par les autres. Entre Elise et son père c'est une façon de se retrouver, probablement aussi une petite excitation en plus.

Mara Goyet :
J'avais écrit le sujet du petit film qu'Elise et son père tournent, et aussi ceux dont il ne veut pas, mais Jacques en a eu marre de tourner mon petit film vidéo. Je n'étais pas très contente. J'étais un peu déçue.

Jacques Doillon :
Ca m'a gonflé assez vite. Abandonner l'histoire m'a permis de tourner un peu plus sur les rapports entre Elise et son père. Sur ce voyage qui est aussi une sorte d'initiation pour Elise ; elle est sur le point de changer de monde, de quitter l'école pour le lycée, le monde de l'enfance pour celui de l'adolescence, et son père le sait. C'est la dernière image d'elle enfant qu'il peut avoir. Et il précipite encore l'évolution. C'est quelque chose que je peux comprendre : avec les enfants on a le sentiment qu'il y a un moment important qu'il faut capter avant qu'il ne soit trop tard. Et probablement pas seulement avec les enfants...

Mara Goyet :
Je n'ai jamais voulu voir les rushes - sauf une fois dans la cabine de projection - ça me gênait de me voir à l'écran, je me trouve bébé, je ne me voyais pas du tout comme ça. Mais plus tard, je pourrai me voir comme j'étais à dix ans : ça doit faire drôle.

Note D'intention de Jacques DOILLON concernant LA VIE DE FAMILLE

Déclaration d'intentions du réalisateur

Au départ de cette "Vie de Famille", il y avait l'envie de montrer un père qui aurait été insuffisant, un peu absent, et qui se dirait qu'il est peut-être encore temps pour lui de faire quelque chose pour ne pas tout perdre de sa fille. Un père qui pourrait y croire un peu, pour qui ce serait depuis longtemps un rêve important : "Un jour je partirai avec ma fille..."

Il y avait aussi, dans la nouvelle drôle et sinistre de John Updike qui s'appelle "La Vie de Famille en Amérique", un personnage assez proche du père que j'imaginais, avec le même penchant au sarcasme, pris dans les mêmes nœuds. Un père qui attendait, sans grand espoir, de trouver une occasion de demander pardon à ses enfants. C'est probablement pour cette scène de pardon que j'ai voulu faire le film. J'avais envie - après les "tueries" de mes trois films précédents - de donner au personnage une chance qu'il n'avait pas dans la nouvelle. Et aussi d'être un peu plus léger. De laisser à ce père une ouverture vers le soleil, vers une autre lumière, une ligne de fuite sur laquelle il pourrait entraîner sa fille. En sachant bien sûr que cette éclaircie serait menacée, que le drame ne serait jamais bien loin, et qu'à tout moment il pourrait prendre le dessus. Tout le jeu étant de retarder ce moment autant que possible. Avant de s'y précipiter.