ANATOMIE DE L’ENFER

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ANATOMIE
DE L'ENFER
un film de Catherine Breillat2004

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Dans ces lieux où on se côtoie sans se rencontrer, où la techno gère la pulsion des corps, ils dansent, ils se balancent, ils se fondent dans cette hydre primordiale faite du corps des hommes. Dans l’abrupt désir de l’autre, ils sont des hommes entre eux, qui se suffisent. Elle est la Fille. Belle à couper le souffle, elle est laissée pour compte. Dans les toilettes, elle se coupe les veines avec une lame de rasoir. Deux fins traits parallèles et qui ne se rejoignent que dans le sang qui sourd. Et c’est ainsi qu’ils se rencontrent. Lui qui n’aime pas les femmes, elle le paiera pour la regarder "Par là où elle n’est pas regardable".

Images du film

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REVUE DE PRESSE

David Vasse - Arte Editions et Editions complexe
Catherine Breillat, un cinéma de la transgression

L’enfer, c’est vivre dans un monde où l’on veut vous bander les yeux pour étouffer votre conscience. Ce film est contre les fondamentalismes, contre les intégrismes. Il travaille sur le déni.

Entretien avec Amira Casar, interprète de la Fille

J’ai toujours apprécié l'univers de Catherine Breillat. Son discours trouve un véritable écho en moi. Elle fait preuve d'une sorte de poésie mythique et mystique qui me touche. Lorsqu'elle m'a donné à lire ce scénario, une phrase m'a particulièrement marquée, mon personnage dit : « Je veux être regardée par là où je ne suis pas regardable ». Ces quelques mots ont suffit à déclencher mon imagination.

Entretien avec Rocco Siffredi, interprète de l’Homme

Pour moi, ce film était un défi d'acteur et d'homme. Le scénario était complexe, les textes élaborés au point que je ne pensais pas être capable de les dire - le français n'est pas ma langue maternelle. Mais Catherine m'a fait confiance et cela m'a motivé. Jouer m'a toujours intéressé, même dans des productions X.

Studio Magazine
Catherine Breillat la sulfureuse

Pour son dixième long métrage, Anatomie de l'enfer, Catherine Breillat a choisi d'adapter son propre roman, Pornocratie, paru chez Denoël. Rocco Siffredi retrouve à cette occasion sa réalisatrice de Romance et partage l'affiche avec une nouvelle venue dans l'univers de la cinéaste, Amira Casar.

nytimes.com
Sex and Power: The Provocative Explorations of Catherine Breillat

The work of Catherine Breillat, the French filmmaker and novelist whose movies frequently explore the perversity animating male-female power dynamics in Western society, has always been fearlessly pertinent. These days, as more and more revelations about the sexual predations of high-profile men come to light, they may even be more pertinent.

David Vasse - Arte Editions et Editions complexe

Catherine Breillat, un cinéma de la transgression

Le tabou initiatique contre le tabou religieux


Le film ne pouvait être qu’un huis clos. Entre quatre murs, on ne peut échapper à l’essentiel. La femme est clouée sur le lit et tout va se révéler. Ce film est comme le théorème de Pythagore sur l’obscénité. La vérité est persécutée par l’obscurantisme religieux. La religion, telle qu’elle est conçue, nous pose comme des pêcheurs d’avoir voulu connaître. C’est donc un film sur la connaissance. Comment cet effroi a-t-il été fondé ?
La sexualité est quelque chose qui nous transcende et la transcendance n’est pas tout à fait normale. Entre le tabou qui signifie « honte » et le tabou qui signifie « initiatique », entre l’innommable, donc le pas regardable, et l’innommé, il y a une très grande différence et mon film se situe là. Il y a le sacré d’un côté et l’ignominieux de l’autre. Depuis Romance, je navigue entre les deux pour savoir ce que l’on cherche à nous cacher et les raisons pour lesquelles on relègue les femmes dans l’ignominieux, plutôt que dans le tabou initiatique.
La sexualité tend vers les sommets car la jouissance est un langage, alors que les plaisirs sont de l’ordre de la consommation. La jouissance, c’est-à-dire être au-dessus de son corps, touche au verbe, comme s’il y avait une abstraction du corps qui nous permettait d’exister dans un sentiment d’éternité. Cet accès fait évidemment concurrence au pouvoir religieux.
Nous vivons dans une société post-religieuse qui n’a rien analysé, ni ouvert les textes fondateurs pour essayer de comprendre en quoi les religions seraient si vénérables et si respectables. On dit toujours qu’il faut respecter la religion, mais on ne la connaît pas. Dans ce cas, je pourrais dire que je respecte l’holocauste, la lapidation, etc., sous prétexte que c’est marqué.
Il n’y a, à chaque fois, que deux cas de figure : soit on en parle, cherche à comprendre, et on abolit forcément, soit on « respecte » et on vit dans un déni absolu de toutes nos positions humanistes. C’est Schizophrène.
Moi, je préfère comprendre. Évidemment ce n’est pas simple, c’est une hydre à deux têtes qui est en nous et qu’il faut résoudre. Par exemple, en hébreu archaïque, « nudité » veut dire « secret » et il est possible de l’interpréter de manière belle, parce qu’un secret est une chose magnifique. Hélas, on peut aussi l’interpréter de manière horrible.
Les Evangiles sont magnifiques mais dès qu’on passe à Saint Paul, les femmes sont reléguées à une servitude monstrueuse. Comment peut-on jurer là-dessus, par exemple, au nom de la démocratie ?
Le film démonte les dénis sur lesquels on vit, à cause de la société qui nous enferme et nous empêche de vivre ce que l’on est. La société nous ouvre des portes pour vivre confortablement mais jamais profondément, au cœur de ce que nous sommes. C’est pour cela que je suis totalement socratienne, c’est-à-dire « connais-toi toi-même ». C’est fondamental. En disant « je pense donc je suis », c’est mon inconscient qui parle et je veux le connaître pour y puiser à volonté.


« L’homme qui n’aime pas les femmes » ?



Je pense que l’on peut prendre la boîte de nuit, au début, comme une allégorie de l’humanité (pas juste des « gays »).
Ce sont des hommes qui occupent la surface de la terre et la femme, elle, en est l’intruse. Puisque les hommes sont les seuls au monde, ils s’estiment et s’aiment entre eux. Ils n’ont pas besoin d’aimer les femmes. Face à eux, la femme ne peut pas exister dans sa dignité humaine : parce qu’elle est sortie de la côte d’Adam, elle est conçue disent les livres dans sa servitude. Moi je pense que si la femme n’est Femme que par son sexe, c’est donc par le sexe, débarrassé de sa fonction reproductrice et du déni social d’humanité, qu’elle peut bâtir son identité. Refuser de voir le sexe comme un mode d’accès à la pensée abstraite pour mieux en faire un simple objet de dérision, complètement désacralisé et honteux, c’est pour moi du déni d’humanité. Mon film se dresse contre ça.


Le sang christique des femmes



La scène du Tampax se trouve dans l’Ancien Testament. La religion s’occupe des règles des femmes. J’ai lu l’Ancien Testament au moment du mixage et je suis tombée sur une page où c’était écrit mot pour mot. Je l’ai donc prise au pied de la lettre sans le savoir parce qu’on est imprégné de cela, mais en en tirant une conclusion inverse, c’est-à-dire pas celle de l’impureté ni de la soumission des femmes. Si les gens me disent que ce n’est pas montrable, alors je les renvoie au Livre. L’Ancien Testament est un très beau livre, sur le plan littéraire et artistique, mais qu’on en fasse une religion relève de la barbarie.
Pour être précis, la menstruation des femmes, fait également l’objet de la sourate 2 (La Vache), verset 222. Il est dit lapidairement : « c’est un mal ». A cette époque, les gens n’avaient aucune idée du cycle de la fécondité. Celle des animaux était claire. La fécondité humaine est plus énigmatique. Pour moi c’est un bien. On en a fait un mal.
Le Christ que je filme n’est pas celui des églises. C’est le vrai Christ, en sang sur sa croix. La femme, elle-même, devient christique. Elle est clouée sur le lit, sous le regard de l’homme, qui peut être le regard du pharisien. Elle est à la fois dans un état de sanctification et de sacrifice. Il y a quelque chose de sacrificiel car elle est vouée à la cruauté.



 

Les gros plans, là où la femme n’est pas regardable

 
Ils ont été tournés avec une doublure, le dernier jour du tournage. Je dois dire que ce tournage a été vécu dans un état de grâce. Cette grâce s’est emparée du plateau, au moment précis où je préparais la composition lumineuse et picturale de chaque plan. Avant, nous avions tous très peur, une peur à laquelle il fallait résister plan après plan. La grâce n’apparaissait que sur le plateau. Le plan suivant est toujours inconnu, il découle du précédent et cela devient très simple. Il y avait donc sur toute l’équipe un mélange de bonheur et de terreur. Le film a hanté tout le monde. Ces gros plans produisent une sidération proportionnelle à l’effroi que l’homme ressent devant ce qui n’est pas regardable, cette partie déniée de la femme. Je voulais montrer ce que l’on cherche de plus en plus à dissimuler ou à éliminer, c’est-à-dire le pubis, les poils sous les bras. L’Origine du monde est, en l’occurrence, un tableau qui m’obsède. Il est aussi important au niveau pictural qu’au niveau philosophique. Il ouvre sur le fondement moral. Les photos de femmes de Man Ray montrent leurs poils, les filles de Pasolini également.
C’est le triangle isocèle des femmes. Aujourd’hui, ce triangle a disparu. Dans les films porno, la tendance est même qu’il n’y ai plus de poils du tout. Ce n’est plus Naturel. Cela m’évoque une anecdote. J’avais une belle-mère qui, appartenant à la très haute société, enfant n’avait eu que des maîtres d’hôtel et de grands chefs cuisiniers. Communément, elle mangeait des fonds d’artichauts en sauce très sophistiquée. Plus tard, elle s’est mariée et a vécu dans un milieu plus simple. Un jour, on lui a servi des artichauts « natures » et elle a paniqué complétement à la vue des « poils ». Elle ne savait plus quoi en faire. Aujourd’hui, par cette épilation constante, on est en train de faire de quelque chose de très normal, une abomination. Si on pose cette abomination sur une réalité physiologique qui nous vient à la puberté, c’est que nous sommes d’une nature abominable et que nous ne nous concevons que dans la honte.

 

Archaïsme et origine

 
Il faut revenir à ce qui est. Lorsqu’il a tourné eXistenZ, Cronenberg s’est inspiré de la fatwa contre Rushdie et il a créé ces objets organiques qui font horreur pour que l’on change nos codes esthétiques. La morale impitoyable s’établit toujours sur des codes esthétiques que nous considérons volontiers comme une Vérité. Parce que nous sommes très sensibles à la mode, qu’elle nous imprègne de sa loi. Pourtant nous savons bien que rien n’est plus fluctuant que la mode. Et une Morale ne saurait se baser sur une mode. Voilà ce que je pense. A partir du moment où on décide de cacher une partie du corps des femmes, cette partie devient nécessairement obscène : voilà ce que je pense. Et maintenant donc ces deux lycéennes avec leur foulard qui nous parlent de l’obscénité de leurs oreilles : vous ne voyez pas que c’est beaucoup plus épouvantable que d’accepter notre corps, tel qu’il est ? Après tout, il n’y a que deux sexes. Ce n’est pas un si grand secret.

 

L’origine du cinéma

 
Je voulais retrouver certaines émotions du cinéma muet, avec, en particulier, l’incandescence de la lumière sur les corps qui leur permet de se détacher autant sur le clair que sur le sombre, jusqu’à les rendre presque immatériels. Pour moi, la lumière c’est l’âme. Il était fondamental que pour ce film-ci, ancré dans l’origine, elle puisse renvoyer à quelque chose de primitif. Par exemple, lorsque l’homme fixe son doigt humide du sexe de la femme, je voulais obtenir un plan de cinéma fantastique, une image du premier des hommes qui découvre une chose impensable, un peu comme King Kong, qui est, au fond, le premier des hommes. Je parle évidemment de l’ancien King Kong, en noir et blanc, tellement plus poétique et archaïque. Lorsque King Kong regarde cette petite femme blonde dans sa main, lui qui n’est que dans un rapport de pouvoir et de force brute, et dans l’ignorance du sentiment amoureux, lui qui n’a qu’à refermer la main sur sa belle captive pour l’écraser, tout à coup, il est attendri.
S’immisce alors en lui la faiblesse qui causera sa perte. J’ai beaucoup pensé à cela pendant le tournage.

 

Les acteurs

 
J’ai écrit le film pour Rocco. Le personnage était pour lui. Et je dois dire qu’il joue corps et âme, jusqu’au plus profond désarroi. Il n’use d’aucun artifice et se met toujours dans l’état originel de ce qui est écrit. Dans la scène où il éclate en sanglots sur le lit, il s’est totalement laissé engloutir par l’émotion de l’instant. C’était incroyable. Quant à Amira, elle possède une vraie élégance, la grâce des modèles transcendés par les peintres. Je trouvais qu’elle avait un corps idéal pour pouvoir la filmer en odalisque, comme un tableau de Caravage. Elle a aussi un visage un peu byzantin qui ressemble à celui du Christ, avec ce front très cintré et les sourcils en ailes de corbeau.


A la première personne de l’homme


 
Ce film est le premier dans lequel j’ai voulu m’identifier à l’homme, à l’image de ce que je faisais dans mes premiers livres, notamment L’homme facile. J’ai vraiment filmé et pensé le montage en me mettant dans son corps à lui. Certes, la voix qui émane de la femme est celle du destin, mais comme je suis un peu schizophrène, disons que je suis l’homme qui découvre la femme qui est moi. C’est sans doute la raison pour laquelle le personnage est un homosexuel. Un homme qui n’aime pas les femmes est dans le fond plus proche de moi, même si Rocco est une exception.


Le parcours initiatique du film


 
Rocco est l’homme originel, issu du mammifère. Sa dignité d’homme est d’être le plus fort. Tout à coup, il rencontre, non plus la femelle, mais la femme. Cette femme, qui, par le désir, ne répond plus aux lois de l’espèce, lui donne du sentiment. Il ne peut s’empêcher d’aller vers ça et, y allant, il perd sa force. Mais, en même temps, il gagne son émotion. Donc son humanité. Il gagne d’exister dans l’abstrait au lieu d’exister dans le muscle. Mais comme il est le dernier des animaux, il est au moment de passer à l’humain et il prend peur. Parce qu’il aime et parce qu’il se sent faible, il tue la femme qui lui a fait perdre sa force. Dans le café, il raconte son histoire, il raconte sa faiblesse. Et cette faiblesse, c’est son humanisation, c’est sa parole. Ensuite, il revient sur les lieux sans se dire qu’il l’a tuée. A son retour, la maison n’est plus qu’un lieu de cauchemar et de rêve. Elle n’appartient plus au réel de ce qu’il a vécu. Elle apparaît maintenant au terme du passage initiatique de celui qui est devenu un homme. L’initiation a eu lieu. Évidemment, cela lui fait horreur de l’avoir tuée, mais il a besoin d’en avoir conscience pour savoir que désormais il accepte le sentiment et la faiblesse. J’ai toujours été pour le pouvoir sans pouvoir. Le pouvoir, on l’a sur soi. Si on l’exerce sur les autres, c’est une tyrannie. L’avoir vous rend grand mais il ne faut pas l’exercer. Tout à coup, l’homme, dans mon film, a le pouvoir de la conscience. Il abandonne sa force brutale et cela le grandit. Je crois que c’est franchement aimer les hommes que de raconter ça. Qu’on ne vienne pas me dire le contraire…

 

Au commencement, le livre

 
J’avais besoin de me plonger dans les mots. On ne peut pas faire un tel film, si essentiel, sans passer par les mots. En général, les sujets fondamentaux sont très minces en romanesque. Il faut donc passer par le langage pour qu’il vous procure l’inconscient. Il n’y a pas de mouvement romanesque à l’intérieur de ce film, il y a juste un mouvement mythique. Voilà pourquoi il était nécessaire d’avoir un substrat littéraire, plus exactement un substrat de l’inconscient. Quand j’ai fait le scénario, j’ai procédé à une sorte de copier-coller par rapport au livre, Pornocratie, en pensant à des voix off qui correspondaient à des passages entiers du texte. C’est cette voix off qui m’a inspiré les plans et le contenu des plans sur le plateau. Et puis évidemment elle a pratiquement disparue. Mais elle m’était nécessaire. Ne pas dire simplement : « elle écarte les jambes et il voit ».
Il me fallait un langage poétique, presque métaphysique.

 

L’impératif de l’obscénité

 
J’avais très peur en écrivant le scénario, beaucoup plus que pour le livre. Je savais que la mise en image de l’interdit était une autre affaire. Presqu’une affaire impardonnable. Mais je tenais à faire ce film coûte que coûte. Et que ce serait le dernier sur le sujet.
Il clôt un cycle : mais je ne pouvais éviter celui-là. Je crois profondément que si on est Artiste, il y a un « Impératif Pornographique » : je pense que la question de l’obscénité et du fondamentalisme du regard sur les femmes est un problème fondamental de civilisation humaine. Mais il n’est pas pris en compte par la vie civile (politique et juridique), car c’est un enjeu de pouvoir et de tabou religieux. Par conséquent, les mots d’ « obscénité », de « pornographie » et de « dignité humaine » liés au corps de la femme et à sa (dé)monstration, obscurcissent tout discours possible. Comme les philosophes ne le tiennent pas, ce discours, c’est aux cinéastes et aux artistes des arts plastiques de trouver quelque chose qui soit antérieur aux fondamentalismes. C’est très difficile car il faut remonter dans notre inconscient, presque 3000 ans en arrière.
Le territoire de l’obscénité, dont on dit qu’il n’est pas visible, est le territoire des artistes. C’est aux artistes de le rendre visible. Au lieu de croire ce qu’on nous dit en permanence pour nous empêcher de penser. Il faut se battre pour penser et pour estimer parfaitement regardable ce que l’on tient au contraire pour non regardable. C’est le sens du contrat de la femme dans le film : « me regarder par là où je ne suis pas regardable ». Mais elle ne précise pas l’endroit, même si l’on sait que le sexe en fait partie. Pourquoi alors n’est-ce pas regardable ? Est-ce parce que c’est ignoble ou est-ce parce que c’est initiatique ? La société a tendance à nous dire que c’est ignoble, monstrueux et infâme. C’est cela qui nous plonge dans un tel effroi. Moi, je suis puritaine et ce film m’a fait très peur aussi. Je dois vraiment remercier Amira Casar de l’avoir fait car il fallait un courage foudroyant. Quand, par exemple, on voit dans les journaux, ces deux petites jeunes filles en foulard qui expliquent que même les oreilles pourraient être un lieu de pudeur et que personne ne les contredit, c’est épouvantable. Pour moi c’est beaucoup moins acceptable que surmonter le tabou de l’obscénité. Qu’on le veuille ou non, c’est là le vrai enjeu de la civilisation. La femme est-elle infâme ? Je crois que Godard, pour Une femme est une femme, a donné une fin très prophétique.


Une différence entre les hommes et les femmes ?


 
Moi, je ne me sens aucune différence avec un homme, artistiquement et intellectuellement parlant. Comme artiste, je ne suis pas sexuée. Je suis artiste tout court. Il y a donc un impératif à voir comment s’affrontent l’homme et la femme. Ils sont homme et femme, non pas à cause de leur conscience, ni à cause de leur dignité humaine ou de leur intelligence, mais parce qu’ils viennent des mammifères, et que là ils ne se considèrent plus comme homme et femme, mais comme mâle et femelle. Et chez les mammifères, c’est le retour à la loi du plus fort donc la loi du mâle. Seulement la sexualité humaine justement est très spécifique à notre espèce. Moi je crois qu’elle participe du « langage », ce « Rubicond que les animaux ne franchiront jamais ». L’émotion, le transport amoureux, l’éternité, le sens de l’abstraction, tout cela passe par le sexe à partir du moment où il n’est plus uniquement le biais de la reproduction et de la contingence mammifère.
On voit bien qu’en évoluant, on échappe à ça. Mais les Églises s’y opposent car la transcendance, l’artistique, la connaissance, sont le contraire du « pêcheur qui expie pour l’éternité sa faute d’avoir voulu atteindre cela ». Et à ce moment là, ils perdent le Paradis Terrestre et ils s’aperçoivent qu’ils sont Nus : vous voyez bien qu’il y a une relation entre l’élévation, la recherche artistique et la conscience de la NUDITÉ comme un sceau infamant et un outil d’asservissement.

 


L’enfer sur terre


 
L’enfer, c’est vivre dans un monde où l’on veut vous bander les yeux pour étouffer votre conscience. Ce film est contre les fondamentalismes, contre les intégrismes. Il travaille sur le déni.
Évidemment, il va soulever des blocs de haine, à la mesure de cet enfer sur terre que l’on a créé pour les femmes.
Cependant, la censure ne saura pas où se placer ni que dire.
Puisque le film est un questionnement sur la censure, sur notre effroi fantasmatique ou véritable. Je ne crains pas la censure. Je crains la haine, qui est la réponse viscérale à un tel film.

 

Extrait du livre de David Vasse paru aux éditions : Arte Editions et Editions complexe

Entretien avec Amira Casar, interprète de la Fille

Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
J’ai toujours apprécié l'univers de Catherine Breillat. Son discours trouve un véritable écho en moi. Elle fait preuve d'une sorte de poésie mythique et mystique qui me touche. Lorsqu'elle m'a donné à lire ce scénario, une phrase m'a particulièrement marquée, mon personnage dit : « Je veux être regardée par là où je ne suis pas regardable ». Ces quelques mots ont suffit à déclencher mon imagination.
Mon parcours, ma formation classique m'ont sensibilisée aux grands textes. En l'occurrence, on trouve ici des mots riches de sens, de puissance, on sent La Maladie de la Mort de Marguerite Duras. J'y ai décelé un lien métaphorique avec la tragédie grecque. J’ai tout de suite comparé mon personnage à celui d'Ariane et à son ravissement – dans tous les sens du terme. J'y ai trouvé mon sous-texte, le secret de mon personnage. Rocco était Dionysos, venu pour ravir cette fille abandonnée par Thésée. Certains le considéreront comme Thésée, d’autres comme Bacchus. Personnellement, j’ai préféré un dieu à un playboy du Péloponnèse !
Catherine Breillat pose un regard particulier sur ses actrices. Elle les magnifie, elle les sublime. Lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, il y a eu communion entre son monde et mon imagination. Bien que le sujet soit violent et traité sans concession, bien que je sois pudique, sa démarche artistique m'a motivée. Elle a une vision extrêmement forte. Ce film est en quelque sorte l’anthologie de son univers. Cela m'a inspiré.



Travailler avec elle est une expérience en soi ?
J’ai fait des films très différents. En 2003, j'ai particulièrement alterné les genres. Je suis arrivée sur Anatomie de l’enfer alors que je venais à peine d'achever le tournage de Ted and Sylvia de Christine Jeffs, avec entre autres Gwyneth Paltrow, l'histoire de poétesses dans le Londres d'après-guerre. Se
transporter dans le monde de Breillat marquait forcément une rupture. Mais j'y allais en confiance, prête à m'abandonner dans les limites claires que j'avais fixées. J'étais d'accord pour tout, sauf pour le live sex. J’ai donc obtenu une doublure. Et la limite de mon jeu est précisée dès le début du film.
A partir de là, j'ai pu me laisser filmer au plus près, servant le propos et la dimension de fable. L'homme et la fille n'ont pas de nom, ils sont les emblèmes d'une rencontre. Pour appuyer sa démarche, Catherine utilise des symboles, des métaphores, comme dans la tragédie ou la fable. Elle le fait de façon entière, honnête, avec la volonté de faire exploser les faux-semblants. Sa méthode échappe au vulgaire. Catherine dit souvent qu'il y a de l’obscurantisme dans notre monde puritain. En réaction, elle a cette démarche avant-gardiste. Elle fait preuve d'un véritable courage.



Malgré la distance entre vous et le rôle, votre implication sur le plan humain est exceptionnelle.
Mon personnage évolue dans une dimension qui dépasse l'anecdotique. Nous sommes dans une symbolique forte. J'incarne le genre féminin et ses interrogations, ses doutes. A travers ce rituel, cette fille accomplit un parcours. Chaque nuit marque une étape. Pour construire le personnage, je me suis servie du sous-texte d'Ariane, mais un autre élément m'a également inspirée. Depuis fort longtemps, je m’intéresse à Dora Maar et à Picasso et, à travers plusieurs expositions, j’ai retrouvé, dans la prolificité de son œuvre, mon fil rouge à moi, un dessin arraché d’un cahier, coloré à la cire : Dora et le Minotaure. Face à la créature, mi-homme mi-bête, Dora se tient en arrière, et dans son regard on peut lire à la fois
l’abandon le plus complet et une indomptabilité qui la rend maîtresse de son jeu. On reconnaît sa chevelure noire, ses ongles rouges et pointus – ceux-là mêmes que j’ai voulus pour mon personnage. Parfois, une image parle plus que les mots. C’est un double combat que j’ai retrouvé dans le film.
Certaines personnes vont penser que la fille est bafouée et ne vont pas comprendre le discours - féministe - de Catherine qui, pour libérer son héroïne, la fait passer par une auto-humiliation dont elle contrôle le processus. C'est elle qui choisit l'homme, elle le paye.



Si c’est un parcours initiatique, à quoi la conduit-il ?
A une liberté. Pour moi, le film aborde le sacré et le profane. Catherine accomplit des allers-retours entre ces deux notions, révélant au passage la frontière entre les deux. Mon personnage se libère en allant vers une mort mythique qui transcende son parcours. Elle est comme un animal qui saurait qu’il va subir un sacrifice. Depuis le début, elle sent qu’elle va mourir. Elle se sacrifie elle-même à ce destin qu’elle va accomplir en quatre nuits et quatre jours. Dès les premières images du film, la notion de son sacrifice est là. C'est un des aspects les plus forts, l'opposition entre le sacrifiant et le sacrifié.



Comment avez-vous travaillé avec Rocco ?
Nous venons d’univers extrêmement différents. Mais dans ce film, Rocco est un acteur et non un acteur de porno. Il a respecté mes limites et a toujours agi avec beaucoup de respect et d'élégance.



Comment Catherine vous a-t-elle dirigée ?
Catherine n’est pas dans la psychologie basique du comédien. J’ai souvent été émue par cette femme qui porte seule son fardeau contre vents et marées, qui arrive sur le plateau le matin et se retrouve dans le même émoi que l’acteur, parce qu’elle est dans le même labyrinthe, qu’elle ressent le même tremblement.
Elle devient une véritable partenaire de jeu. Les acteurs sont les extensions d'elle-même, de sa propre imagination, de son propos. Nous sommes la matière qu'elle pétrit. Elle est entière vis-à-vis de son œuvre. Elle ne se censure pas et, par son intelligence, vous entraîne dans sa pensée. Avec elle, on marche main dans la main dans le noir. Toute la richesse de sa culture repose sur un partage, un legs, qui m’inspirait énormément. J’espère toujours l'émotion. Quand j’adhère à l’univers d’un cinéaste, je peux aller très loin, même si je crois que je ne participerai à un tel projet qu’une seule fois dans ma vie. Catherine était consciente de mon extrême pudeur, de l’éducation protestante que j’ai reçue, et d’une rigueur qu’elle a appréciée. Je me suis mise à son service comme une femme volontaire et maîtresse de son destin, une femme qui partage sa pensée.



Les textes sont très écrits, dans le registre de la tragédie…
Ce sont des textes magnifiques qu’il ne fallait pas théâtraliser. Les césures sont complexes, les phrases longues, parfois discontinues, toujours signifiantes et d’un point de vue syntaxique, lourdes pour l’acteur. Tout cela est très fragile.
Entre le scénario de départ et l’image qui en est arrachée, il existe un monde.
Chaque jour, il faut créer l’image, et ce n’est pas une chose facile. Toute l’équipe doit rentrer dans un processus créatif parfois violent, impliquant, conflictuel par rapport à soi, par rapport à ses doutes, pour arriver à l’harmonie dont va naître l’image. Partir du néant pour créer une image et une pensée
chaque matin est une chose complètement abstraite. A mon sens, le travail de Catherine est comparable à celui d'un peintre.



Ce rôle représentait-il un défi vis-à-vis de vous-même ? Avez-vous appris des choses sur vous ?
Énormément. Je crois que je suis sortie de ce rôle à la fois vulnérable et extrêmement forte. Exercer le métier d’acteur de manière impliquée, avec un investissement profond, demande énormément d’énergie. Être nue sur un plateau n’est pas évident. Personnellement, je n’aime pas cela. Et en même temps, je me sentais extrêmement protégée par la deuxième peau que constituent le maquillage, la lumière. Tout cela participe à la dimension sublimée du film.




Comment Catherine vous parle-t-elle d’une scène ?
Nous ne travaillons pas les scènes ensemble. Elles naissent sur le plateau, dans l’instant. Il faut arriver en connaissant le texte sur le fil du rasoir car Catherine est capable de modifier chaque élément du contexte. Elle travaille dans le ressenti de l'instant. C’est ce qui arrive de moment en moment qui compte, pas ce qui est prévu, établi comme dans un storyboard.
Ce n’est pas non plus un travail d’improvisation car elle n’aime pas cela, mais un travail vivant, de l’instant qui, sans altérer le texte, peut en modifier le mouvement. En tant que comédien, on est donc constamment pétri. Catherine dirige incroyablement ses acteurs et j’aime beaucoup sa manière de le faire car on est à la fois extrêmement tenu et libre.
Le metteur en scène est là pour manipuler l’actrice. Si l'idée de cette manipulation rebute, c'est qu'il n'y a pas de confiance. Si je ne l'avais pas acceptée, j'aurais été à la mauvaise place. Anatomie de l’enfer peut choquer les esprits qui n’adhèreront pas au propos. Ce film n’était pas fait pour n’importe quelle actrice et nombre d’entre elles y seraient allées à reculons. Pour ma part, je considère Catherine
comme une avant-gardiste et je ne veux pas lui couper les ailes. Je l'ai laissée construire sa vision.
Lorsque l'on travaille avec quelqu’un comme Catherine, si on comprend son propos - non pas intellectuellement mais au plus profond de soi-même - on tend vers l’élévation.



 

Savez-vous quel souvenir vous garderez de cette expérience ?
Les choses ne sont pas figées. Ce n’est ni mon premier ni mon dernier film. Mais c’est une étape importante de ma vie d’actrice. Il compte beaucoup car j'y ai fait don de moi. Catherine aura été une rencontre. Elle est tout et son contraire. A la fois impudique et extrêmement pudique. A la fois violente et d’une extrême douceur. J’aime ce côté paradoxal. J’aime m’abandonner à son regard car je sais qu’il sublime l’actrice et la femme. Certains ne seront pas d’accord, mais c’est ma vision intime. Pour moi, elle est une héritière de Pasolini. Et si ce film choque, ce sera de la même façon que Salo car, avec un discours qui lui est propre, il est de cette lignée-là. Dans ma vie, même si mon éducation anglo-saxonne m’avait déjà donné un certain stoïcisme, Catherine m'a apporté quelque chose d’essentiel : le détachement.

Entretien avec Rocco Siffredi, interprète de l’Homme

Quand Catherine Breillat vous a-t-elle parlé de ce projet ?
Depuis au moins dix ans, elle souhaitait faire un film avec moi. Nous avons évoqué plusieurs projets, et puis il y a eu Romance. Auparavant, elle ne me connaissait pas, elle ne m’avait vu que dans des films pornos et ne savait donc pas ce que je donnerais dans un vrai rôle. Je crois que ça s'est bien passé, puisqu'on s'est retrouvés.
Elle souhaitait adapter son roman, Pornocratie, mais elle voulait aussi écrire un film pour moi, en me réservant le premier rôle. Il aura fallu quelques années pour que le projet se concrétise et que je découvre le scénario.

Qu'en avez-vous pensé ?

Comme toujours avec Catherine, c'est fort. Elle ne joue pas avec les sentiments, elle essaie de les dompter. Personnellement, une chose me posait un problème. Je sais que Catherine refuse que l'on fasse semblant. Jouer avec elle, c'est être totalement impliqué. Or, le scénario impliquait un rapport homosexuel et bien que n'étant pas homophobe, je m'y refuse. Comme elle avait vraiment envie de faire le film avec moi, elle a adapté. C'est moi qui lui ai proposé de suggérer l'homosexualité de mon personnage par une scène de baiser dans la boîte de nuit. Ça n'a pas été facile, c'est assez intime !

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

Pour moi, ce film était un défi d'acteur et d'homme. Le scénario était complexe, les textes élaborés au point que je ne pensais pas être capable de les dire - le français n'est pas ma langue maternelle. Mais Catherine m'a fait confiance et cela m'a motivé. Jouer m'a toujours intéressé, même dans des productions X. Même mal dirigé, j'essaie d'y croire et de jouer vraiment. Sur Romance, mon rôle n'était pas très important, mais j'ai eu l'occasion d'y découvrir à quel point il est difficile de jouer vraiment une scène.
Cette fois, j'avais concrètement l'occasion d'abandonner le personnage de Rocco Siffredi, d'incarner autre chose. Faire d'autres films que des films pornos m'a vraiment remis en cause. Je me suis torturé, questionné. J'ai affronté d'autres limites de moi-même. Mais malgré cela, chaque expérience m'a
donné envie de continuer. Avec Anatomie de l’enfer, j'avais l'occasion d'aller encore plus loin.Au moment de tourner, aviez-vous une vision d'ensemble du film ?
La perception du film est venue en le faisant, mais avant, juste par le texte, je ne le saisissais pas bien.
A la signification du texte venait s'ajouter la force des situations. Quand je ne savais pas, je faisais confiance à Catherine. J'ai redouté qu'elle n'aime pas ma façon de jouer le personnage mais, selon son propos, j'ai tout de suite pris la bonne direction.Vous souvenez-vous de la première scène que vous avez tournée ?
C’était l'une des plus difficiles pour moi. J'arrive pour la première fois à la maison de la Fille. Beaucoup de texte, beaucoup d'attitudes, j'ai tout de suite été confronté à ce qui m'impressionnait. Je m'étais construit mon personnage comme je le pouvais, loin de mes repères. J’avais beaucoup de doutes.
Catherine m'a rassuré. C'est là que j'ai pris conscience de l'implication que nécessitait le rôle. Je ne pouvais pas assurer une prise et aller passer deux coups de téléphone ; je devais être dedans, entièrement investi. Même si je me suis souvent senti seul, je n'ai jamais oublié la chance que j’avais d'être
là avec ce rôle. J'ai fait comme souvent dans ma carrière, je me suis débrouillé pour faire face.
Pour la première fois de ma vie, j’ai pu endosser une autre personnalité que la mienne et le vivre bien. Jouer la comédie est un métier passionnant. Je suis venu au film porno par attrait physique, mais là ce n'est pas le même registre. Jouer la comédie est tout autre chose.

Comment travaillez-vous avec Catherine Breillat ?
C’est une grande école. C’est un metteur en scène qui dirige les acteurs, qui les prend, les pousse à donner tout ce qu'ils ont de bon. C’est une force de la nature. Elle a une grande personnalité. Elle voit tout, ressent tout. Rien ne lui échappe. C’est un vrai metteur en scène.
Elle vit les scènes avec nous. Elle les joue avec son assistant et s'implique. Ensuite, nous parlons de l'état d'esprit. Sa volonté de ne rien laisser au hasard force le respect. J’espère vraiment la retrouver sur mon chemin.

Certaines scènes vous ont-elles posé un problème ?

J'ai eu du mal avec la scène où je devais boire le sang. C'était impressionnant. Pour le reste, il n'y a rien eu de trop difficile. Les problèmes, je les ai eus après. Je n’ai pas dormi pendant deux mois parce que je m'étais vraiment impliqué dans ce type qui, à la fin, comprend tout ce qu'il a perdu.
Découvrir le film a aussi été un choc. Il prend un sens puissant, qui m'a laissé dans un véritable état de confusion.
Cela vient aussi peut-être du fait que j'avais peur de me voir à l'écran. J'étais incapable de me juger, de savoir si j'avais réussi mon pari envers moi-même. Par contre, j'ai trouvé qu'Amira était très bien.
Ce que l'on découvre sur l'écran fonctionne différemment de ce qui se déroule sur le plateau. Le résultat échappe au contexte de sa création, c'est assez magique. On croit être bon ou mauvais devant la caméra, et le film vous dit autre chose.

Croyez-vous qu’un autre acteur aurait pu jouer ce film ?

Oui, beaucoup. Harvey Keitel aurait pu le faire sans aucun problème, car il fait partie de ces gens qui peuvent se jeter de toute leur âme dans un film. Avant, dans le cinéma traditionnel, quand on commençait à parler du sexe, on éludait, on faisait uniquement des gros plans sur les visages. Aujourd’hui, acteurs et metteurs en scène assument mieux la réalité de ce qu'ils abordent. Pasolini et Kubrick ont été des précurseurs. Je ne crois pas que l'on puisse parler de sexe sans le montrer vraiment. Le porno, quand à lui, se cantonnera de plus en plus dans les extrêmes, dans toutes les fantaisies que l'on ne peut pas faire à la maison. Le cinéma traditionnel repose sur des émotions, le porno sur des sensations.

Vous êtes considéré comme un sex symbol et dans ce film, on vous découvre homosexuel, déstabilisé, désespéré, sans plus rien de dominateur. Comment ressentez-vous cela ?
Plutôt très bien. C’est forcément l'un des rôles les plus marquants de ma vie. J'ai pu être ce que je ne suis pas. Ce que je suis vraiment n'est pas à l'autre extrême non plus. Cette expérience m'aura simplement donné envie de continuer, d'aller plus loin dans le jeu.
C'est un film atypique, difficile. Les gens ne l'accueilleront pas forcément positivement. Personnellement, je souhaitais une expérience de jeu forte, et j'ai été servi. Pour ce qui est de juger ma prestation, je m'en remets à Catherine et au public parce que moi, je n'y arrive pas. Ma femme non plus. Elle ne
parle pas français et ne lit pas les sous-titres en anglais, elle a donc vu un film muet !
Elle l’a cependant trouvé fort et désespéré.

L’histoire a-t-elle changé votre vision des femmes ? Vous êtes-vous senti remis en cause en tant qu’homme ?
Beaucoup de choses m’ont fait réfléchir. Quand la femme parle du sang, du fait que les hommes n’aiment pas du tout la menstruation, c'est vrai. On n’aime pas toucher les femmes quand elles ont leurs règles. Mais ce n’est pas pour cela qu’on les hait ensuite. Je ne partage pas toute la philosophie du film. J’en parlerai sûrement un jour avec Catherine, et elle me donnera une des réponses très argumentées dont elle a le secret. Cela ne me fera pas forcément changer d'avis, d'ailleurs !

Jusqu'à présent, tous les rôles que vous avez joués en dehors des films pornos utilisent quand même vos talents sexuels. Votre prochain défi ne serait-il pas de jouer sans y faire appel ?
Tout à fait. Jusqu'à présent, je n'ai fait que trois films en dehors du X, toujours sous la direction de femmes, et à chaque fois, elles demandent cet aspect de moi. M'en passer serait mon deuxième défi.
Savoir si je peux être aussi convaincant sans sexe… Je voudrais savoir si je suis aussi intéressant en tant qu'acteur que je le suis en tant qu'acteur porno. Il y a des projets, l'avenir le dira.

Studio Magazine

Catherine Breillat la sulfureuse

Numéro 187


Pour son dixième long métrage, Anatomie de l'enfer, Catherine Breillat a choisi d'adapter son propre roman, Pornocratie, paru chez Denoël. Rocco Siffredi retrouve à cette occasion sa réalisatrice de Romance et partage l'affiche avec une nouvelle venue dans l'univers de la cinéaste, Amira Casar. Celle-ci joue une jeune femme suicidaire dont on suit le face-à-face trouble avec le personnage incarné par Siffredi, dans ce film précédé d'une rumeur sulfureuse - scènes de sexe et nudité obligent.
nytimes.com

Sex and Power: The Provocative Explorations of Catherine Breillat

The work of Catherine Breillat, the French filmmaker and novelist whose movies frequently explore the perversity animating male-female power dynamics in Western society, has always been fearlessly pertinent. These days, as more and more revelations about the sexual predations of high-profile men come to light, they may even be more pertinent.

The Criterion Channel section of the streaming site Filmstruck recently unveiled its Catherine Breillat Collection, which offers all the movies the director has made in this century, with the exception of “Anatomy of Hell,” the 2004 movie about men’s fear of menstruation, and one of her most extreme works in terms of explicit content.

The first picture of the collection is the still-shocking “Fat Girl,” from 2001, which centers on a 12-year-old. Anaïs (Anaïs Reboux), chubby, pouty and red-cheeked, feels out of sorts while on holiday, watching her older sister, Elena (Roxane Mesquida), being romanced by a local Lothario, Fernando (Libero De Rienzo). The movie’s central jaw-dropper is a scene, about 20 minutes in, when Fernando visits the girls’ shared bedroom one night. A wide-awake Anaïs is witness to Fernando’s wheedling, inveigling “seduction” of Elena. When Elena instructs her beau to go only so far, he responds “I swear on my mother’s head.” Seconds later, Fernando says that he’s not sure if he can hold himself back and that it would be a shame if he had to go to another girl to get what he wants. And on it goes. It’s excruciating.

Not all of Ms. Breillat’s observations are specific to the vexation of women. This movie, and others of hers, feature intimate implications of the cosmic. I saw “Fat Girl” for the first time in 2001, at the Toronto International Film Festival. This is not quite a spoiler — because believe me, the scene in question is not one that you are going to see coming, even with this reveal — but the movie ends with the central character subjected to a mini-apocalypse: The world she knows ends before her eyes. It’s a shattering scene, constructed with an assurance that is kind of terrifying. On the day I saw the movie, Sept. 8, 2001, I found it too abrupt and arbitrary. Little did I know. Interviewing Ms. Breillat a couple of years later, I told her how my perception of the film changed after Sept. 11; her response was an enthusiastic nod of agreement — and a Gallic shrug.

All the other films in the collection are rich in wit, emotional tumult and philosophical trenchancy. “Sex Is Comedy,” from 2004, is a genuinely funny movie about moviemaking, inspired by the shooting of that startling sex scene from “Fat Girl.” Here Anne Parillaud plays a put-upon stand-in for Ms. Breillat. “The Last Mistress,” from 2008, is a 19th-century tale of a woman who refuses to take her lover’s rejection in stride. This movie’s subversions begin with the casting of a thoroughly modern screen presence, Asia Argento, in the title role.

There has often been a recognizable streak of fantasy in Ms. Breillat’s work, and in recent years she has given her tendencies in that direction freer rein by making films of well-known fairy tales. Her perspectives on “Bluebeard” (2010) and “Sleeping Beauty” (2011) are more than fractured; they are radical. Lola Créton, known in the United States mostly for her work in Mia Hansen-Love’s “Goodbye First Love” (2012) and Olivier Assayas’ “Something in the Air” (2013), gives a fierce performance in “Bluebeard” as Marie-Catherine, the title character’s clever young wife who is confounded by the temptation of a secret chamber in their shared castle.

The collection is completed by “Abuse of Weakness” (2014), Ms. Breillat’s most recent film, and possibly her greatest, so far. It’s a largely autobiographical account of catastrophic events after Ms. Breillat’s brain hemorrhage in 2004. (She also wrote a novel based on her experiences.)

In that film, Isabelle Huppert, in an even more astonishing performance than what she usually serves up, plays Maud, a writer and director we first see sliding out of her bed, half-paralyzed. Ms. Huppert portrays her suffering character, who remains partly paralyzed throughout, with incredible physicality. At times, Maud seems to masochistically luxuriate in her incapacitation. Watching television one evening, Maud is entranced by the bragging of a ruggedly handsome con man, recently released from prison and promoting a book about his swindles. She asks him to star in her next film; he agrees, and he almost immediately starts a psychological game with her.

“I don’t meet with my actors until I start filming,” Maud says, her left hand still crabbed from her stroke. Slumped in a chair opposite her, the con man, played by the French rapper Kool Shen, responds, “You are going to see a lot of me.” Soon Maud is writing him enormous checks and imperiously insisting to herself that she understands what’s going on and has some control over it. This is a subtle but unflinching psychological horror picture with a devastating finale.

If you’re in the mood to do more cinematic exploring, this month the cinephile site Filmatique, which specializes in international movies that normally get scant attention in the United States, focuses on North African directors and films. So far it has posted Mohcine Besri’s 2011 kidnapping drama, “The Miscreants”; Nadine Khan’s “Chaos, Disorder” (2013), a scrappy love triangle set in Cairo; and a female character study from 2012, “Coming Forth by Day,” from the Egyptian filmmaker Hala Lotfy.

On Dec. 22, the Tunisian picture “Challat of Tunis” debuts on the site. Directed by and featuring Kaouther Ben Hania, this mockumentary posits the existence of a criminal in prerevolutionary Tunisia called the Challat. (The word means blade in a Tunisian dialect.) In 2003, the movie tells us, he rampaged through Tunis on a motorbike, hunting down provocatively dressed women and slashing their buttocks with a straight razor.

The movie begins 10 years after, with Ms. Ben Hania trying to visit the prison where the Challat was supposedly held. Stymied, she goes to neighborhoods where he was reputed to have struck. Interviewing local residents, she finds men disparaging the Challat’s supposed victims and their scanty wear. They say things like “One must dress correctly. In a respectful fashion.” The movie teems with such upsetting, but not surprising, instances of victim-blaming. The filmmaker also interviews the maker of a “devout” video game in which the player is the Challat, and gains points for slashing inappropriately dressed women. If the player attacks a hijab-wearing woman, points are deducted. Ms. Ben Hania also explores the home life of a creepy braggart who claims to be the “real” Challat.

This is a satire that stings. The misogyny and threatened masculinity on display half a world away is no different from what exists in the United States; the only distinction is in the pretext. (Many of the men in this movie claim that their retrograde views are endorsed by Islam.) Like the films of Ms. Breillat, “Challat of Tunis” is uncomfortably timely.

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