Entretien avec Rocco Siffredi, interprète de l’Homme
Depuis au moins dix ans, elle souhaitait faire un film avec moi. Nous avons évoqué plusieurs projets, et puis il y a eu Romance. Auparavant, elle ne me connaissait pas, elle ne m’avait vu que dans des films pornos et ne savait donc pas ce que je donnerais dans un vrai rôle. Je crois que ça s’est bien passé, puisqu’on s’est retrouvés.
Elle souhaitait adapter son roman, Pornocratie, mais elle voulait aussi écrire un film pour moi, en me réservant le premier rôle. Il aura fallu quelques années pour que le projet se concrétise et que je découvre le scénario.
Qu’en avez-vous pensé ?
Comme toujours avec Catherine, c’est fort. Elle ne joue pas avec les sentiments, elle essaie de les dompter. Personnellement, une chose me posait un problème. Je sais que Catherine refuse que l’on fasse semblant. Jouer avec elle, c’est être totalement impliqué. Or, le scénario impliquait un rapport homosexuel et bien que n’étant pas homophobe, je m’y refuse. Comme elle avait vraiment envie de faire le film avec moi, elle a adapté. C’est moi qui lui ai proposé de suggérer l’homosexualité de mon personnage par une scène de baiser dans la boîte de nuit. Ça n’a pas été facile, c’est assez intime !
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?
Pour moi, ce film était un défi d’acteur et d’homme. Le scénario était complexe, les textes élaborés au point que je ne pensais pas être capable de les dire – le français n’est pas ma langue maternelle. Mais Catherine m’a fait confiance et cela m’a motivé. Jouer m’a toujours intéressé, même dans des productions X. Même mal dirigé, j’essaie d’y croire et de jouer vraiment. Sur Romance, mon rôle n’était pas très important, mais j’ai eu l’occasion d’y découvrir à quel point il est difficile de jouer vraiment une scène.
Cette fois, j’avais concrètement l’occasion d’abandonner le personnage de Rocco Siffredi, d’incarner autre chose. Faire d’autres films que des films pornos m’a vraiment remis en cause. Je me suis torturé, questionné. J’ai affronté d’autres limites de moi-même. Mais malgré cela, chaque expérience m’a
donné envie de continuer. Avec Anatomie de l’enfer, j’avais l’occasion d’aller encore plus loin.Au moment de tourner, aviez-vous une vision d’ensemble du film ?
La perception du film est venue en le faisant, mais avant, juste par le texte, je ne le saisissais pas bien.
A la signification du texte venait s’ajouter la force des situations. Quand je ne savais pas, je faisais confiance à Catherine. J’ai redouté qu’elle n’aime pas ma façon de jouer le personnage mais, selon son propos, j’ai tout de suite pris la bonne direction.Vous souvenez-vous de la première scène que vous avez tournée ?
C’était l’une des plus difficiles pour moi. J’arrive pour la première fois à la maison de la Fille. Beaucoup de texte, beaucoup d’attitudes, j’ai tout de suite été confronté à ce qui m’impressionnait. Je m’étais construit mon personnage comme je le pouvais, loin de mes repères. J’avais beaucoup de doutes.
Catherine m’a rassuré. C’est là que j’ai pris conscience de l’implication que nécessitait le rôle. Je ne pouvais pas assurer une prise et aller passer deux coups de téléphone ; je devais être dedans, entièrement investi. Même si je me suis souvent senti seul, je n’ai jamais oublié la chance que j’avais d’être
là avec ce rôle. J’ai fait comme souvent dans ma carrière, je me suis débrouillé pour faire face.
Pour la première fois de ma vie, j’ai pu endosser une autre personnalité que la mienne et le vivre bien. Jouer la comédie est un métier passionnant. Je suis venu au film porno par attrait physique, mais là ce n’est pas le même registre. Jouer la comédie est tout autre chose.
Comment travaillez-vous avec Catherine Breillat ?
C’est une grande école. C’est un metteur en scène qui dirige les acteurs, qui les prend, les pousse à donner tout ce qu’ils ont de bon. C’est une force de la nature. Elle a une grande personnalité. Elle voit tout, ressent tout. Rien ne lui échappe. C’est un vrai metteur en scène.
Elle vit les scènes avec nous. Elle les joue avec son assistant et s’implique. Ensuite, nous parlons de l’état d’esprit. Sa volonté de ne rien laisser au hasard force le respect. J’espère vraiment la retrouver sur mon chemin.
Certaines scènes vous ont-elles posé un problème ?
J’ai eu du mal avec la scène où je devais boire le sang. C’était impressionnant. Pour le reste, il n’y a rien eu de trop difficile. Les problèmes, je les ai eus après. Je n’ai pas dormi pendant deux mois parce que je m’étais vraiment impliqué dans ce type qui, à la fin, comprend tout ce qu’il a perdu.
Découvrir le film a aussi été un choc. Il prend un sens puissant, qui m’a laissé dans un véritable état de confusion.
Cela vient aussi peut-être du fait que j’avais peur de me voir à l’écran. J’étais incapable de me juger, de savoir si j’avais réussi mon pari envers moi-même. Par contre, j’ai trouvé qu’Amira était très bien.
Ce que l’on découvre sur l’écran fonctionne différemment de ce qui se déroule sur le plateau. Le résultat échappe au contexte de sa création, c’est assez magique. On croit être bon ou mauvais devant la caméra, et le film vous dit autre chose.
Croyez-vous qu’un autre acteur aurait pu jouer ce film ?
Oui, beaucoup. Harvey Keitel aurait pu le faire sans aucun problème, car il fait partie de ces gens qui peuvent se jeter de toute leur âme dans un film. Avant, dans le cinéma traditionnel, quand on commençait à parler du sexe, on éludait, on faisait uniquement des gros plans sur les visages. Aujourd’hui, acteurs et metteurs en scène assument mieux la réalité de ce qu’ils abordent. Pasolini et Kubrick ont été des précurseurs. Je ne crois pas que l’on puisse parler de sexe sans le montrer vraiment. Le porno, quand à lui, se cantonnera de plus en plus dans les extrêmes, dans toutes les fantaisies que l’on ne peut pas faire à la maison. Le cinéma traditionnel repose sur des émotions, le porno sur des sensations.
Vous êtes considéré comme un sex symbol et dans ce film, on vous découvre homosexuel, déstabilisé, désespéré, sans plus rien de dominateur. Comment ressentez-vous cela ?
Plutôt très bien. C’est forcément l’un des rôles les plus marquants de ma vie. J’ai pu être ce que je ne suis pas. Ce que je suis vraiment n’est pas à l’autre extrême non plus. Cette expérience m’aura simplement donné envie de continuer, d’aller plus loin dans le jeu.
C’est un film atypique, difficile. Les gens ne l’accueilleront pas forcément positivement. Personnellement, je souhaitais une expérience de jeu forte, et j’ai été servi. Pour ce qui est de juger ma prestation, je m’en remets à Catherine et au public parce que moi, je n’y arrive pas. Ma femme non plus. Elle ne
parle pas français et ne lit pas les sous-titres en anglais, elle a donc vu un film muet !
Elle l’a cependant trouvé fort et désespéré.
L’histoire a-t-elle changé votre vision des femmes ? Vous êtes-vous senti remis en cause en tant qu’homme ?
Beaucoup de choses m’ont fait réfléchir. Quand la femme parle du sang, du fait que les hommes n’aiment pas du tout la menstruation, c’est vrai. On n’aime pas toucher les femmes quand elles ont leurs règles. Mais ce n’est pas pour cela qu’on les hait ensuite. Je ne partage pas toute la philosophie du film. J’en parlerai sûrement un jour avec Catherine, et elle me donnera une des réponses très argumentées dont elle a le secret. Cela ne me fera pas forcément changer d’avis, d’ailleurs !
Jusqu’à présent, tous les rôles que vous avez joués en dehors des films pornos utilisent quand même vos talents sexuels. Votre prochain défi ne serait-il pas de jouer sans y faire appel ?
Tout à fait. Jusqu’à présent, je n’ai fait que trois films en dehors du X, toujours sous la direction de femmes, et à chaque fois, elles demandent cet aspect de moi. M’en passer serait mon deuxième défi.
Savoir si je peux être aussi convaincant sans sexe… Je voudrais savoir si je suis aussi intéressant en tant qu’acteur que je le suis en tant qu’acteur porno. Il y a des projets, l’avenir le dira.