Entretien avec Josiane Balasko
On a tourné dans un village de Savoie. On était un peu comme une colonie de vacances. Un plaisir ! D’abord, parce qu’il a fait beau ! Ensuite, parce qu’on s’est découvert avec Sylvie… On a immédiatement accroché. C’est quelqu’un d’entier, de très drôle, de très cultivé. Elle est issue d’un milieu d’acteurs formés «à la dure» : théâtre, petits films… Sylvie est un petit soldat. Quand il le faut, elle ne craint pas d’aller au charbon.
Michel Muller, lui, est un comédien particulier, percutant, capable de balancer des trucs hilarants sans crier gare. Dans le film, il joue un personnage extrêmement attachant, un paumé au grand cœur. Quant à Éric Cantona, il est parfait. Il dégage quelque chose de séduisant, à la fois viril et animal, mais sans être une brute. Éric est un type qui travaille beaucoup. C’est vrai qu’il parle peu, comme son personnage, mais il écoute, et il a une grande modestie. Et puis, il y a aussi Catherine Hiegel, que je connaissais depuis longtemps et que j’ai suggéré à Gérard.
Gérard Krawczyk est quelqu’un de très courtois, très respectueux, qui avait une réelle envie et une joie de reprendre le fil de quelque chose qu’il avait mis de côté. J’avais vu et beaucoup aimé son premier film, JE HAIS LES ACTEURS. Et c’est justement un excellent directeur d’acteurs, doublé d’un technicien expérimenté, de par les films d’action et à effets qu’il a réalisés. Du coup, il est très efficace, quelle que soit la nature de la scène. Il sait toujours où mettre sa caméra, anticipe, apporte une énergie qui permettait de faire, le cas échéant, beaucoup de prises, sans que personne ne s’énerve. C’est d’autant plus étonnant que les personnages de LA VIE EST À NOUS ! sont difficiles à interpréter : ils sont si originaux qu’on était comme des somnambules, nous ne savions jamais trop où on allait. Et le grand mérite du film est d’avoir fait fonctionner ce mélange de gens à la fois vrais et à moitié fous.
La difficulté, ce n’était pas tant de jouer une vieille. J’ai même fini par oublier qu’on m’avait vieillie ! Mais les personnages oscillent en permanence entre réalisme et poésie. Ce n’était jamais gagné ! Gérard avait une vision très claire de cette femme ce qui m’a beaucoup aidé. Blanche téléphone à son mari, au cimetière, et, en même temps elle vit dans la réalité du bistrot. Tout ce petit monde fonctionne ainsi. On croit à ces personnages, même quand ils ont un discours poétique. On a le sentiment de les rencontrer dans la vie de tous les jours, on les prend en sympathie, on vit leurs émotions. Moi, j’ai vécu dans un bistrot. C’est comme une scène de théâtre. J’étais très à l’aise. Et Sylvie aussi. Ce que Gérard a réussi, c’est retranscrire cette vérité du café de quartier ou, en l’occurrence, de village, où chacun se retrouve, règle ses comptes, fête quelque chose… Ce café, c’est là où l’on jette l’ancre, où l’on vient s’échouer.
Dans le film, tous les clients sont liés à mon personnage. Et ma fille, qui reprend le flambeau, connaît le métier. Elle sait causer. Les femmes qui tiennent ces établissements ont une certaine manière de parler, et les hommes ne leur manquent jamais de respect. Les gens arrivent et jouent un rôle. Chez nous, il y avait des personnages comme ceux du film. Ils entrent avec une phrase, une histoire. Quand une femme tient un bistrot, elle materne tout le monde. Comme Louise et Blanche. Les deux femmes sont très maternelles, tout à la fois autoritaires et affectueuses. Elles sont les mères des clients, et celles des enfants qu’elles ont recueillis et élevés. C’est une belle histoire. Celle de gens généreux qui s’insultent en permanence. Sylvie engueule tout le monde, c’est une manière d’exprimer son affection, son amour. J’ai aimé les rapports entre nous, entre ces deux femmes. C’est une relation mère-fille très forte. Louise menace d’emmener sa mère à l’hospice, et, évidemment, elle l’adore. Cela donne des scènes intimistes très fortes, qui alternent avec des scènes d’action. Ce que connaît bien Gérard. Et dès qu’on sort du bistrot, on est dans un western ! L’arrivée des camions, le face à face des hommes sur la place, c’est le Far West. On est dans un monde très masculin et pourtant, ce sont les femmes qui font la loi. Cela donne un film inclassable, une comédie qui ne ressemble à aucune autre. Un OVNI, qui ne répond pas aux critères habituels du cinéma français. Quand on l’a vu, on se sent mieux. On a respiré un grand coup d’air de Savoie dans une salle de cinéma.