Entretien avec Jean-Loup HUBERT
Entretien avec Jean-Loup HUBERT
A propos des personnages :
LE GRAND CHEMIN est l’histoire d’un enfant, Louis, que sa mère, enceinte, confie pour quelques semaines à un couple de villageois : Marcelle et Pelo. Nous savons peu de choses sur le passé de ce garçon. Nous devinons simplement que ses parents traversent une crise. Louis possède fort peu d’indications à ce sujet. C’est là son principal problème. Il soupçonne de graves dissensions entre son père et sa mère, mais il n’arrive pas à faire “avouer” cette dernière. Par ailleurs, il est inquiet, comme tous les enfants qui attendent un petit frère ou une petite soeur. Enfin, c’est un gosse fragile, materné à l’excès, qui se voit soudain lâché sans explication dans un milieu qui lui est complètement étranger. Louis est constamment dans les jupons de sa mère, et voilà qu’il débarque soudain dans un monde inconnu et déconcertant. Au départ, personne ne lui tend la main. Pelo le piège même assez méchamment, en lui faisant croire qu’il va passer plusieurs semaines d’enfer entre un ivrogne et une marâtre. Le film s’articule sur une série de secrets et de découvertes : la sexualité, la mort, les premières amours, le mystère du couple Pelo-Marcelle… Les adultes veulent cacher des tas de choses aux enfants, alors qu’ils laissent traîner sous leurs yeux une multitude d’indices, ou parlent avec des périphrases qui ne font qu’accroître leur trouble et leur curiosité. Ils forcent l’enfant à reconstituer la vérité avec sa propre logique, c’est à dire à fantasmer sur des faits qui ne devraient pas l’inquiéter. Il y a chez les adultes un comportement pervers qui consiste à prendre l’enfant à témoin pour se valoriser. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec Marcelle et Pelo : ils demandent à Louis de choisir entre eux, d’arbitrer leur conflit. Il y a dans la vie de Marcelle et Pelo un secret que nous découvrirons tardivement. Ce sont des gens qui se sont certainement beaucoup aimés, et qui ont été frappés par un drame. Leur existence est un déchirement quotidien, dont ils ont fini par oublier la raison première. C’est par les yeux de Louis que nous percevons le plus souvent leurs rapports. Et ceux-ci en paraissent d’autant plus énigmatiques. Ce couple, comme tous les adultes, joue un rôle, il se plie à certains archétypes sociaux. Une vie, ça se construit aussi comme ça. Les enfants ont du mal à comprendre cette logique, et il est heureux qu’ils aient des moments de solitude pour jouer et s’évader. Durant une de ces pauses, Louis va rencontrer Martine qui va devenir sa complice et son mentor. Martine a une longueur d’avance sur lui. C’est une fille de la campagne qui a été confrontée très tôt aux réalités de la vie qu’ignorent souvent les jeunes citadins. Elle possède des informations dont elle va faire bénéficier Louis, pour le séduire, le taquiner et se rendre intéressante à ses yeux.
Comment avez-vous été amené à écrire ce film qui doit beaucoup à vos souvenirs personnels ?
Tout est parti de l’échec d’un projet auquel je tenais beaucoup : SANGUINE, et qui avait capoté à 15 jours du tournage. Déçu, écoeuré, je suis allé me “ressourcer” à la campagne, jurant que je ne ferais plus de concessions dans ma carrière. J’ai très vite retrouvé une multitude de souvenirs et d’émotions de mon enfance et rédigé la continuité dialoguée en un mois. J’avais vécu dans la maison de Marcelle et Pelo, je connaissais dans ses moindres détails le Grand Chemin où nous allions tourner. J’y étais revenu à vingt ans, et depuis, ces lieux ont très peu changé. Le jardin de Marcelle est toujours là, ainsi que la rue principale, le cimetière qui me faisait tant peur, et cette église au coeur du village, aussi imposante qu’une cathédrale…
Les intérieurs, en revanche, avaient certainement changé, ainsi que les accessoires, les costumes…
Nous avons effectivement modifié de nombreux détails, mais je ne voulais surtout pas tomber dans le piège de la reconstitution. Je voulais retrouver un climat plutôt qu’une époque précisément datée. Dans les années cinquante, ce village était totalement coupé du monde. Il vivait replié sur lui-même, autour de son église et de son cimetière. Aller à Nantes constituait une véritable expédition… Ces gens avaient leur langage à eux. Ils parlaient sans accent, mais leur conversations étaient émaillées d’expressions rurales et archaïques. On disait “Dame !” pour marquer la surprise, “tantôt” pour “cet après-midi” et “je suis rendu” pour “je suis arrivé”. C’était une langue vivante et imaginative. J’ai de la famille dans cette région, que je connais bien pour y être souvent retourné. Lorsque j’ai eu fini mon scénario, je l’ai donné à lire à une femme du coin, ainsi qu’à Marcelle et à ma mère, qu’il concernait au premier chef. Marcelle, qui tient le rôle de la vieille plumeuse de poulets, a également vu les rushes, et a été émue autant qu’heureuse de revivre ce temps, de revoir la menuiserie de Pelo…
Vous avez confié le rôle de Louis à votre fils, Antoine. Aviez-vous tout de suite pensé à lui ?
J’ai écrit ce personnage en observant Antoine, qui a l’âge de Louis et des réactions similaires. Après l’avoir “utilisé” au stade de l’écriture, je lui ai tout naturellement proposé de tourner dans le film. Il n’avait aucune expérience du cinéma, mais cela lui plaisait d’être deux mois en ma compagnie. Il n’avait pas lu le script et découvrait chaque scène quelques heures avant de la jouer. On a essayé de travailler en continuité de telle sorte qu’il comprenne l’évolution de son personnage. Après coup, il m’interrogeait sur les expériences que j’avais vécues à son âge. Je crois que cela a contribué à nous rapprocher. Les jeunes sont rarement conscients de l’enfance de leurs parents…
Comment avez-vous découvert Vanessa Guedj (Martine) ?
De la façon la plus classique. On a fait des essais avec de nombreuses petites filles. On leur laissait une demi-heure pour apprendre la scène du pommier, où Martine dit à Louis : “Ben mon cochon, pourquoi tu regardes toujours ma culotte ?”. La plupart des gamines ont paniqué, mais Vanessa s’est plantée là, jambes écartées, avec une formidable assurance, j’ai tout de suite vu qu’elle avait le tempérament de Martine.
Comment s’est-elle entendue avec Antoine ?
Il y avait entre eux un mélange de flirt et de rivalité. Le grand jeu, c’était de finir le plus vite possible pour aller jouer. Chacun essayait donc d’être le meilleur et de connaître son texte au rasoir.
Quelle ambiance avez-vous créée sur le plateau pour ces deux enfants ?
J’aime beaucoup tourner avec les jeunes. J’apprécie leur générosité, leur spontanéité, la justesse de leurs réactions. Le problème, c’est de canaliser leur énergie, de leur imposer une discipline de travail. Il faut adopter un comportement d’instituteur, avec un mélange d’affection, d’attention et d’autorité. Il ne faut surtout pas leur parler comme à des comédiens adultes, car ils deviennent insupportables.
A propos des personnages :
LE GRAND CHEMIN est l’histoire d’un enfant, Louis, que sa mère, enceinte, confie pour quelques semaines à un couple de villageois : Marcelle et Pelo. Nous savons peu de choses sur le passé de ce garçon. Nous devinons simplement que ses parents traversent une crise. Louis possède fort peu d’indications à ce sujet. C’est là son principal problème. Il soupçonne de graves dissensions entre son père et sa mère, mais il n’arrive pas à faire “avouer” cette dernière. Par ailleurs, il est inquiet, comme tous les enfants qui attendent un petit frère ou une petite soeur. Enfin, c’est un gosse fragile, materné à l’excès, qui se voit soudain lâché sans explication dans un milieu qui lui est complètement étranger. Louis est constamment dans les jupons de sa mère, et voilà qu’il débarque soudain dans un monde inconnu et déconcertant. Au départ, personne ne lui tend la main. Pelo le piège même assez méchamment, en lui faisant croire qu’il va passer plusieurs semaines d’enfer entre un ivrogne et une marâtre. Le film s’articule sur une série de secrets et de découvertes : la sexualité, la mort, les premières amours, le mystère du couple Pelo-Marcelle… Les adultes veulent cacher des tas de choses aux enfants, alors qu’ils laissent traîner sous leurs yeux une multitude d’indices, ou parlent avec des périphrases qui ne font qu’accroître leur trouble et leur curiosité. Ils forcent l’enfant à reconstituer la vérité avec sa propre logique, c’est à dire à fantasmer sur des faits qui ne devraient pas l’inquiéter. Il y a chez les adultes un comportement pervers qui consiste à prendre l’enfant à témoin pour se valoriser. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec Marcelle et Pelo : ils demandent à Louis de choisir entre eux, d’arbitrer leur conflit. Il y a dans la vie de Marcelle et Pelo un secret que nous découvrirons tardivement. Ce sont des gens qui se sont certainement beaucoup aimés, et qui ont été frappés par un drame. Leur existence est un déchirement quotidien, dont ils ont fini par oublier la raison première. C’est par les yeux de Louis que nous percevons le plus souvent leurs rapports. Et ceux-ci en paraissent d’autant plus énigmatiques. Ce couple, comme tous les adultes, joue un rôle, il se plie à certains archétypes sociaux. Une vie, ça se construit aussi comme ça. Les enfants ont du mal à comprendre cette logique, et il est heureux qu’ils aient des moments de solitude pour jouer et s’évader. Durant une de ces pauses, Louis va rencontrer Martine qui va devenir sa complice et son mentor. Martine a une longueur d’avance sur lui. C’est une fille de la campagne qui a été confrontée très tôt aux réalités de la vie qu’ignorent souvent les jeunes citadins. Elle possède des informations dont elle va faire bénéficier Louis, pour le séduire, le taquiner et se rendre intéressante à ses yeux.
Comment avez-vous été amené à écrire ce film qui doit beaucoup à vos souvenirs personnels ?
Tout est parti de l’échec d’un projet auquel je tenais beaucoup : SANGUINE, et qui avait capoté à 15 jours du tournage. Déçu, écoeuré, je suis allé me “ressourcer” à la campagne, jurant que je ne ferais plus de concessions dans ma carrière. J’ai très vite retrouvé une multitude de souvenirs et d’émotions de mon enfance et rédigé la continuité dialoguée en un mois. J’avais vécu dans la maison de Marcelle et Pelo, je connaissais dans ses moindres détails le Grand Chemin où nous allions tourner. J’y étais revenu à vingt ans, et depuis, ces lieux ont très peu changé. Le jardin de Marcelle est toujours là, ainsi que la rue principale, le cimetière qui me faisait tant peur, et cette église au coeur du village, aussi imposante qu’une cathédrale…
Les intérieurs, en revanche, avaient certainement changé, ainsi que les accessoires, les costumes…
Nous avons effectivement modifié de nombreux détails, mais je ne voulais surtout pas tomber dans le piège de la reconstitution. Je voulais retrouver un climat plutôt qu’une époque précisément datée. Dans les années cinquante, ce village était totalement coupé du monde. Il vivait replié sur lui-même, autour de son église et de son cimetière. Aller à Nantes constituait une véritable expédition… Ces gens avaient leur langage à eux. Ils parlaient sans accent, mais leur conversations étaient émaillées d’expressions rurales et archaïques. On disait “Dame !” pour marquer la surprise, “tantôt” pour “cet après-midi” et “je suis rendu” pour “je suis arrivé”. C’était une langue vivante et imaginative. J’ai de la famille dans cette région, que je connais bien pour y être souvent retourné. Lorsque j’ai eu fini mon scénario, je l’ai donné à lire à une femme du coin, ainsi qu’à Marcelle et à ma mère, qu’il concernait au premier chef. Marcelle, qui tient le rôle de la vieille plumeuse de poulets, a également vu les rushes, et a été émue autant qu’heureuse de revivre ce temps, de revoir la menuiserie de Pelo…
Vous avez confié le rôle de Louis à votre fils, Antoine. Aviez-vous tout de suite pensé à lui ?
J’ai écrit ce personnage en observant Antoine, qui a l’âge de Louis et des réactions similaires. Après l’avoir “utilisé” au stade de l’écriture, je lui ai tout naturellement proposé de tourner dans le film. Il n’avait aucune expérience du cinéma, mais cela lui plaisait d’être deux mois en ma compagnie. Il n’avait pas lu le script et découvrait chaque scène quelques heures avant de la jouer. On a essayé de travailler en continuité de telle sorte qu’il comprenne l’évolution de son personnage. Après coup, il m’interrogeait sur les expériences que j’avais vécues à son âge. Je crois que cela a contribué à nous rapprocher. Les jeunes sont rarement conscients de l’enfance de leurs parents…
Comment avez-vous découvert Vanessa Guedj (Martine) ?
De la façon la plus classique. On a fait des essais avec de nombreuses petites filles. On leur laissait une demi-heure pour apprendre la scène du pommier, où Martine dit à Louis : “Ben mon cochon, pourquoi tu regardes toujours ma culotte ?”. La plupart des gamines ont paniqué, mais Vanessa s’est plantée là, jambes écartées, avec une formidable assurance, j’ai tout de suite vu qu’elle avait le tempérament de Martine.
Comment s’est-elle entendue avec Antoine ?
Il y avait entre eux un mélange de flirt et de rivalité. Le grand jeu, c’était de finir le plus vite possible pour aller jouer. Chacun essayait donc d’être le meilleur et de connaître son texte au rasoir.
Quelle ambiance avez-vous créée sur le plateau pour ces deux enfants ?
J’aime beaucoup tourner avec les jeunes. J’apprécie leur générosité, leur spontanéité, la justesse de leurs réactions. Le problème, c’est de canaliser leur énergie, de leur imposer une discipline de travail. Il faut adopter un comportement d’instituteur, avec un mélange d’affection, d’attention et d’autorité. Il ne faut surtout pas leur parler comme à des comédiens adultes, car ils deviennent insupportables.
Anémone n’a pas l’image d’une actrice dramatique, et on a un peu oublié qu’elle avait commencé dans ce registre.
En la voyant dans PERIL EN LA DEMEURE, je n’ai pas douté un instant qu’elle puisse jouer Marcelle. Physiquement, elle était proche du personnage et elle formait avec Richard Bohringer un couple crédible. J’avais également très envie de tourner avec Richard Bohringer. Nous avons fait des essais de costumes, et lorsqu’il a enfilé son pantalon de velours, j’ai cru voir Pelo ! Richard, un pur produit de la ville, s’est glissé avec une aisance stupéfiante dans la peau de son personnage. Il a adopté les gestes de Pelo, son rythme, dont il a même eu du mal à se défaire.
Anémone et Bohringer apportent à Marcelle et Pelo une grande dignité. Aussi violents que soient leurs affrontements, on sent chez ces deux personnages une authentique exigence morale.
Pelo (qui est mort il y a quelques années) était artisan. Il avait la culture traditionnelle des compagnons, et une finesse que n’ont pas toujours les gens du terroir. Marcelle est une femme intelligente. Ils étaient tous deux plus ouverts que les gens de leur entourage. Dans le film, ils ne se contentent pas de vivre leur situation : ils tentent de l’analyser et de se justifier devant Louis. Ils sont également en compétition pour l’amour de cet enfant. Ils ont besoin de lui donner leur affection et de recevoir la sienne. Ils s’arrachent ce garçon et cela crée entre eux une nouvelle complicité. Après le départ de Louis, c’est sur Marcelle et Pelo que le film se conclut. C’est une fin ouverte mais optimiste…
Olivier Eyquem