Entretien avec Eric Laurent
Comment vous avez collaboré avec William Karel ? Est-ce que vous le connaissiez auparavant ?
Je connaissais William Karel, j’avais vu ses documentaires et notamment sa série sur la CIA ainsi qu’une partie de la série diffusée sur Arte sur Les Hommes de la Maison Blanche et j’avais trouvé que nos démarches se rejoignaient : une volonté de coller à la fois aux faits et de ne pas se satisfaire de la vérité officielle. Je pense – et c’est le ressort de toutes mes enquêtes – que derrière toute vérité officielle, il existe une réalité cachée et c’est ce que j’ai voulu révéler à propos de Bush et de cette administration qui est totalement atypique.
Nous sommes face à un phénomène tout à fait nouveau en politique : pour la première fois, une administration, composée d’hommes issus d’une extrême droite chrétienne ultra-fanatique et des neo-conservateurs ont pris le contrôle complet de la politique étrangère américaine et sont aujourd’hui en train de refaçonner totalement les relations internationales.
Nous sommes entrés dans une période tout à fait nouvelle, de profonde instabilité et d’incertitude où le droit international a été nié et bafoué. Ensuite, le choix d’intervenir préventivement ré-instaure complètement le chaos et la loi de la jungle et rend les relations entre pays beaucoup plus imprévisibles et dangereuses : demain au nom de ce principe le Pakistan peut attaquer l’Inde, la Corée du Nord lancer des missiles sur le Japon.
Il faut également souligner que nous sommes face à une extraordinaire succession de mensonges d’Etat, sans équivalent dans le passé. Un homme comme John Dean qui fut le conseiller juridique de Nixon et le premier à avoir au fond déclenché l’affaire du Watergate en avouant devant une commission d’enquête du Congrès que Nixon faisait écouter les conversations téléphoniques à la Maison Blanche, estime : « si le système américain fonctionne sainement, à terme le président américain devrait être traduit devant le Congrès a et frappé d’impeachment», c’est-à-dire menacé d’une procédure de destitution car, tout de même, la manipulation des faits, le cynisme avec lequel ils ont été proférés sont d’une gravité extraordinaire. Ils ont entraîné un pays et indirectement le reste du monde dans une guerre qui n’était, on s’en rend compte aujourd’hui, nullement justifiée.
Quelles différences entre écrire un livre et élaborer un film ? quel travail vous avez pu avoir concrètement avec William Karel ?
Sur les livres j’ai travaillé seul mais le travail sur un film est un travail collectif où Jean-François Lepetit et Agnès Vicariot ont tout au long joué un rôle essentiel Et là effectivement, un certain nombre d’obstacles se font jour : il y a des gens qui peuvent accepter de vous parler avant l’écriture du livre mais qui ont refusé lors du tournage parce que le contenu du livre les a probablement dérangés ; d’autres témoins qui avaient accepté de se confier lors de mon enquête mais ont craint de montrer leur visage devant la caméra. Nous étions face à un certain nombre de paramètres tout à fait différents qu’il a fallu gérer. Mais je pense que William Karel s’en est extrêmement bien tiré.