ENTRE DEUX MAI: SOUS LES PAVÉS, LA CULTURE
Yves Riou et Philippe Pouchain révèlent comment, entre mai 1968 et mai 1981, artistes et intellectuels ont transformé la société française. À voir sur France 5.
Le documentaire Entre deux mai, 1968-1981, les artistes et la politique plonge le téléspectateur dans le bouillonnement qu’a connu la société française pendant treize années décisives. De la révolte étudiante de Mai 1968 à l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, en passant par l’adoption de la loi Veil en 1975 qui légalise l’avortement, c’est une modification en profondeur du mode de vie des Français qu’évoque le film d’Yves Riou et Philippe Pouchain. Une transformation dans laquelle artistes et intellectuels ont pris une large part, en s’engageant de façon plus ou moins directe en politique.
Le film commence par revenir longuement sur les événements de Mai 68. Les images d’archives et les commentaires d’historiens nous entraînent dans un Qaurtier Latin en ébullition. En particulier au Théâtre de l’Odéon, occupé par des étudiants et de jeunes artistes bien décidés à créer un théâtre révolutionnaire où chacun pourrait s’exprimer librement.
Faire entrer l’art dans des lieux nouveaux
Ariane Mnouchkine, 29 ans à l’époque, était présente à l’Odéon et se souvient :
“Montaient sur scène des gens qui avaient des propositions de tout, de vie, de société. Il y avait des choses d’une imagination, d’une fantaisie mais aussi d’un bon sens (…) qui étaient merveilleuses.” L’enthousiasme rétrospectif de celle qui avait créé le Théâtre du Soleil en 1964 en dit long sur l’adhésion de bon nombre d’artistes aux idées utopistes qui circulaient alors. L’égalité des salaires est adoptée au Théâtre du Soleil en 1968. Et en 1970, la troupe d’Ariane Mnouchkine s’installe dans l’ancienne cartoucherie de Vincennes. Une façon de mettre en pratique l’idée très soixante-huitarde d’installer l’art dans des lieux qui ne lui sont pas destinés.
À propos des relations entre art et politique, Ariane Mnouchkine confie: “je pense que le Théâtre du Soleil fait (…) des spectacles politiques, mais qui ne sont pas strictement militants.” Elle précise: “Au moment où l’artiste, pour être politique, renonce à être artiste, je pense qu’il y a un problème.”
Art et politique au sens large se mêlent naturellement, comme dans le film de Marco Ferreri, La grande bouffe, qui, en 1973, fait indirectement une critique sévère de la société de consommation. On voit l’un des interprètes, Michel Piccoli, s’exprimer avec conviction au Festival de Cannes où le film fait scandale: “Dans le monde, il y a ceux qui crèvent de ne pas avoir de bouffe et ceux qui crèvent d’en avoir trop.” L’esprit de Mai 68 apparaît bien là.
Cette influence des artistes dans la politique atteint des sommets quand François Mitterrand, candidat à la présidence en 1981, demande à Jack Lang de rallier le plus possible d’acteurs de la culture à sa cause. L’effet pervers de cette alliance sera, une fois la gauche au pouvoir, le développement des artistes courtisans. Quant à la candidature de Coluche à l’Élysée, le fait qu’elle fut prise au sérieux en disait long sur la défiance de beaucoup de Français vis-à-vis de la politique.
Le Figaro