Confessions d’un djihadiste
Nasser Al-Bahri est un jeune Yéménite plein d’admiration pour les djihadistes, à tel point qu’il se prive de nourriture pour s’acheter leurs vidéos. De fil en aiguille, il se rapproche de leurs réseaux, et intègre Al Qaida comme on répond à une petite annonce : le chef de sécurité de Ben laden recherche de jeunes yéménites célibataires pour créer une unité responsable de la vie de leur leader. Formé rapidement aux techniques de protection rapprochée, Al-Bahri devient Abou Jandal, “le père de la mort”, garde du corps personnel et homme de confiance de Ben Laden, entre 1997 et 2000.
Abou Jandal raconte la vie quotidienne dans les camps d’entraînement, les fermes de Kandahar, Tarnak et Khost, où vivent les membres d’Al Qaida, mais aussi leurs femmes et leurs enfants. Mohammed, le fils de Ben Laden qui s’occupe de moutons, comme le prophète, la vie sans eau courante ni électricité, qui vaudra à Ben Laden d’être perçu comme un Robin des bois. Et même les matchs de volley, les soirées, les repas, les prières tous ensemble. Pour un peu, ils auraient l’air sympathiques : Ben Laden est toujours évoqué souriant, bienveillant par et pour celui qui l’appelait son “oncle”, marque d’affection, de proximité, mais surtout pas de hiérarchie. Ben Laden met toujours son équipe à l’épreuve, leur apprend qu’un des leurs vaut 1000 soldats américains parce qu’eux savent pourquoi ils se battent, alors que les américains le font pour l’argent, pour s’amuser avec leurs copains (sic), pour bien manger.
A ces anecdotes plutôt gentillettes succèdent les images du double attentat des ambassades de Nairobi (Kenya) et de Dar es Salam (Tanzanie), le 7 août 1998. Au total, 5 000 blessés, 220 morts, dont 12 américains. Abou Jandal interroge Ben Laden sur ce bilan terrifiant ; ce sont des dommages collatéraux, inévitables, et puis aucun musulman n’a été touché, l’attaque ayant eu lieu un vendredi à 10h30, heure de prière, lui explique-t-il.
Ainsi, le chef d’Al Qaida ne laisse rien au hasard, confirment Michael Scheuer, ancien de la CIA en charge de la traque contre Ben Laden, et Ali Soufan, ancien agent du FBI. Les deux hommes viennent compléter, nuancer, noircir le portrait fait par Abou Jandal. Scheuer et Soufan ont passé plusieurs années à traquer Ben Laden, à partir de 1996, quand Al Qaida a appelé à la guerre sainte contre les Etats-Unis. Ils auraient pu le tuer à plusieurs reprises, mais il y avait ces images satellites d’enfants dans les camps d’entraînement qui ont fait craindre à Bill Clinton un forte critique mondiale, ou, avant 1998 et le premier attentat revendiqué, la crainte d’être accusés d’assassinat.
Les opérations sont donc annulées par Clinton, au mépris de la protection des citoyens américains, insiste Scheuer. Notamment lorsque Ben Laden se lie d’amitié avec les princes des Emirats, qui viennent chasser près de sa ferme de Kandahar, en mars 1999. Alors qu’il pourrait être éliminé, que le moindre de ses faits et gestes est connu grâce au passage, deux fois par jour, d’un satellite. Pendant un mois, l’administration Clinton traîne les pieds, ne prend pas de décision, jusqu’à ce que Ben Laden s’enfuie précipitamment. La raison ? L’un des princes venait de commander pour 8 milliards d’euros d’avions aux Etats-Unis, la Maison-Blanche l’a donc averti.
Pas de chance non plus lors de la tentative, six mois plus tard, d’attaquer le camp de Khost. Parce que Ben Laden n’y était pas, Abou Jandal lui ayant conseillé d’aller plutôt à Kaboul rendre une petite visite à leurs amis talibans, parce que la mosquée, une cible certaine, avait été retirée de la liste des possibilités, faisant de l’opération un échec cuisant. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que Scheuer ait dit, en voyant les tours s’effondrer, le 11 septembre : “Merde, on aurait dû tuer ce type !” Au lendemain de l’attentat, Ali Soufan interroge Abou Jandal, emprisonné au Yémen, qui s’est éloigné de Ben Laden tout en restant proche des djihadistes. C’est lui qui va permettre d’identifier tous les terroristes, qu’il a connus personnellement, et de mieux connaître Al Qaida.
A la fin du film, le méchant meurt, les américains ont gagné. Reste Abou Jandal, redevenu Nasser Al-Bahri, toujours fidèle à la cause d’Al Qaida, grand admirateur de Ben Laden, qui aidera pourtant les Etats-Unis. Et le spectateur, de rester forcément troublé au vu du portrait si humain de celui qui a été pendant plus de dix ans l’homme le plus recherché du monde.
France 2 Documentaire :
“Dans la tête d’Al Qaida” de Paul Jenkins et Georges Malbrunot