ABUS DE FAIBLESSE : LA CRITIQUE DU FILM
L’argument :
Victime d’une hémorragie cérébrale, Maud, cinéaste, se réveille un matin dans un corps à moitié mort qui la laisse hémiplégique, orpheline de son corps et face à une solitude inéluctable. Vilko, voyou en costume chic, arnaqueur de célébrités, passe à la télé lors d’un talk-show nocturne. Il est arrogant et crève l’écran avec superbe. Maud le voit. Elle le veut pour son prochain film. Ils se rencontrent. Il ne la quittera plus. Elle aussi, il l’escroque, lui emprunte des sommes astronomiques qui ne signifient rien pour elle. Il lui prend tout mais lui donne une gaieté, une famille. Ce film raconte l’abus de faiblesse dont Maud est victime. L’abus de faiblesse est une qualification pénale mais c’est aussi une extrême, irrésistible douceur.
Notre avis :
Breillat appartient aux rencontres cinématographiques qui forgent un choc de répulsion ou de fascination… La réalisatrice sexuée de Romance a depuis un certain temps dû diminuer son rythme de production, en raison de soucis de santé graves qu’elle a su exorciser dans un livre, puis aujourd’hui, que l’on retrouve au centre d’un film, Abus de faiblesse, mâtiné de fiction. Toutefois Breillat n’a en rien perdu de son esprit, tourmenté, animé par des sentiments de frustration ou d’abandon de soi qui donnent le vertige.
Abus de faiblesse commence de la manière la plus malaisée possible. Dans un lit blanc immaculé, magnifique image de cinéma, composition parfaite issue de l’imaginaire d’une cinéaste qui n’a plus rien à prouver au niveau des idées, Isabelle Huppert lutte pour sa survie, alors que survient un AVC qui la contorsionne, la paralyse… L’empathie immédiate et l’effet miroir du cauchemar redouté par le spectateur sont accentués par des scènes d’hospitalisation, de rééducation.. Avec la force de caractère de l’actrice qui est aussi celle de la réalisatrice, dont on apprécie la rencontre au sommet tant attendue, la ténacité, l’opiniâtreté, la froideur sont de rigueur. Ces impressions dominent dès les premières scènes et donneront le la d’un projet désespéré en quête de renaissance dans la douleur et la lumière. Ici, il s’agit de recouvrer la vue…
Huppert joue la réalisatrice contrainte de tout mettre de côté, alors qu’elle doit réapprendre à vivre. Sa rencontre avec une petite frappe, qu’elle envisage pour un casting, peut évoquer Parfait amour, probablement le meilleur film de Breillat, où la passion, la manipulation menait au fait divers le plus radical possible, lors d’une fin insoutenable. La relation tumultueuse entre Isabelle Renauld, bourgeoise magnifique au physique proche de Romy Schneider, et le voyou joué par Francis Renaud, deux découvertes inoubliables, trouve une belle onde de choc, vingt ans plus tard chez Huppert et Kool Shen. Ce dernier, acteur physique, voulu pour sa virilité brute, se joue d’une victime parfaite, miraculée, en attente d’un sursaut de vie. Fantasme d’amant jamais consommé, le personnage de Vilko, charmeur gouailleur, qui détourne la réalité pour enfermer la femme dans un baratin qui lui coûte cher, est sans aucun doute détestable pour le spectateur, armé du recul que l’héroïne affaiblie ne possède pas. On a du mal à l’apprécier ou à lui trouver la moindre opacité, qui pourrait éventuellement nous permettre de partager la fascination de l’héroïne/réalisatrice pour ce bad boy à la classe tapageuse.
Le Don Juan du milieu carcéral joue d’une présence que d’aucuns pourraient trouver charismatiques, mais qui, curieusement agace par moment. “Abus de faiblesse”, il y a, et l’aveuglement du personnage d’Huppert peut fatiguer, alors que le final démontre encore une fois l’incroyable jeu de l’actrice, capable d’apposer à sa rigidité une fragilité extrême qui la brise avec pudeur.
Entre biographie et fiction, Abus de faiblesse suscite le doute, pas celui d’être face à une oeuvre qui tient bien la route, il s’agit du meilleur long de son auteure depuis Anatomie de l’enfer en 2002, mais celui de réellement apprécier le contenu qui nous déconcerte et nous malmène, comme souvent avec Breillat, réalisatrice unique, dont on ne se lasse pas de découvrir les provocations depuis son premier long en 1976, Une vraie jeune fille.
Abus de faiblesse n’est donc pas à bouder, surtout pour Huppert, toujours impériale, mais nécessite toutefois une certaine mise en garde. Son contenu n’a plus le caractère choc et scandaleux des œuvres passées, mais en lorgnant sur le médical cérébral peut s’avérer être aussi douloureux.
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